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les conditions diverses peuvent être différemment utilisées, semble indiquer que le mal, là même où il est le plus grand, n’est cependant pas irréparable. Les propriétaires, lésés par l’appauvrissement de la pêche, le gouvernement lui-même, plus intéressé que personne à l’abondance des produits fluviatiles, sont pourtant restés longtemps inactifs en présence du dommage qu’ils éprouvaient. On ne s’est enfin décidé à y remédier que sur les sollicitations réitérées des naturalistes, qui, maîtres depuis longtemps d’un procédé de multiplication artificielle, jugeaient utile de l’appliquer au repeuplement des rivières et des étangs. Les premières applications ont donné des résultats assez notables pour qu’on n’ait pas craint d’entreprendre de nouveaux essais. Les méthodes pratiques se sont promptement perfectionnées, et des recherches scientifiques très habilement conduites ont imprimé bientôt un caractère tout nouveau à la pisciculture, c’est-à-dire à cette branche de l’économie rurale qui s’occupe de l’aménagement des eaux. Un intérêt très général s’attache aujourd’hui à cette importante question de la multiplication des poissons, qui touche à la fois aux sciences naturelles, à l’agriculture et à l’économie politique. L’ensemble des expériences qui depuis la fin du dernier siècle jusqu’à nos jours ont pour but le repeuplement des rivières compose dès ce moment un chapitre curieux de l’histoire de la zoologie, et en attendant qu’il s’augmente de quelques pages nouvelles, il nous parait déjà utile d’en réunir les élémens épars.


I

Les premiers essais de pisciculture ont été tentés par les Chinois et par les anciens Romains, et il est probable que ceux-ci ont été devancés par leurs aînés en civilisation. Nous n’avons aucune donnée positive sur l’époque à laquelle les Chinois ont commencé ces pratiques ; mais tout porte à croire qu’elles remontent à la plus haute antiquité. On trouve dans l’Histoire générale des Voyages (1748), dans Grosier, dans Davis, comme l’a déjà fait remarquer M. Chevreul, et dans la plupart des ouvrages qui traitent des coutumes chinoises, quelques détails curieux sur le transport du frai des poissons. Au rapport des missionnaires qui ont visité la Chine, une multitude de saumons, de truites et d’esturgeons remontent dans les rivières du Kiang-si et jusque dans les fossés qu’on creuse au milieu des champs pour conserver l’eau nécessaire à la production du riz. C’est là qu’ils déposent leurs œufs, et les petits qui ne tardent pas à en naître sont pour les propriétaires riverains une source de profits considérables. Le père Jean-Baptiste Duhalde, jésuite, est le premier auteur français qui ait fait connaître[1] la manière dont s’opère ce commerce. Voici son récit, que la plupart des historiens ont copié en l’altérant : » Dans le grand fleuve Yang-tse-kiang, non loin de la ville Kieou-king-fou, de la province de Kiang-si, en certains temps de l’année il s’assemble un nombre prodigieux de barques pour y acheter des semences de poisson. Vers le mois de mai, les gens du pays barrent le fleuve en différens endroits avec des nattes et des claies dans une étendue d’environ neuf ou dix lieues et laissent seulement autant d’espace qu’il faut pour le passage des

  1. Histoire de l’empire de la Chine, t. Ier, p. 35. 1735.