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extrémités et à la surface supérieure, il laissait une ouverture carrée, fermée d’un grillage métallique dont les fils n’étaient pas éloignés les uns des autres de plus de quatre lignes ; cette ouverture servait à l’entrée de l’eau. Une autre, semblablement grillée et pratiquée dans le pan vertical de l’extrémité opposée, servait à la sortie. Le fond était garni d’un pouce de sable ou de gravier. Jacobi plaçait cet appareil dans un lieu approprié, auprès d’un ruisseau ou, mieux encore, d’un étang nourri de bonnes sources, d’où il pouvait, par un canal de dérivation, faire couler à travers la caisse un filet d’eau non interrompu.

Ces dispositions, très simples et très sagement combinées, résolvaient complètement le problème qu’il s’était posé : soustraire les œufs fécondés à leurs ennemis habituels, en les laissant dans des circonstances semblables à celles où ils se seraient naturellement trouvés. L’expérience réussit : après trois semaines environ, Jacobi vit apparaître à travers l’enveloppe épaisse de l’œuf deux points noirs correspondant aux yeux du jeune animal, et huit jours plus tard il commençait à distinguer le corps lui-même, qui s’agitait et tournait dans l’intérieur. Enfin, au bout de cinq semaines, les petits poissons sortirent de leur coque et bientôt s’en séparèrent complètement, ne conservant plus sous leur ventre qu’une poche jaune pendante, qui est la vésicule ombilicale. Durant près d’un mois, les jeunes furent nourris de la substance de cette poche, qui disparaît à mesure qu’ils grandissent ; mais alors ils eurent besoin d’une autre nourriture, et pour la chercher, ils sortirent de la caisse à travers le grillage, et tombèrent dans un réservoir rempli de sable et adapté pour les recevoir. Jacobi ajoute que, dans un bassin suffisamment grand, ils grossirent singulièrement dans l’espace de six mois, et qu’alors ils étaient arrivés à une taille convenable pour empoissonner les étangs ; mais il ne dit pas de quelle manière il les a nourris pendant tout ce temps.

L’inventeur des fécondations artificielles parait avoir répété souvent les expériences qu’il décrit, et il mit tous ses soins à en assurer le succès. Il s’aperçut que les œufs se gâtent aisément quand ils sont entassés, et il recommande d’éviter cet inconvénient en les séparant fréquemment à l’aide d’une baguette. On doit également empêcher qu’ils ne s’accolent les uns aux autres, lorsqu’on répand sur eux la laitance. Enfin il faut avoir soin d’en écarter de temps en temps les ordures que l’eau dépose, ce qu’on peut faire commodément avec les barbes d’une plume.

En ne négligeant aucune de ces précautions et en se mettant à l’abri des diverses chances d’insuccès, Jacobi est-il parvenu à un résultat final complètement satisfaisant au point de vue pratique ? A-t-il réussi, à l’aide de son procédé, à repeupler convenablement des cours d’eau devenus improductifs, ou à accroître notablement la production dans ceux où le poisson était déjà abondant ? .Nous manquons de documens suffisons pour répondre positivement à cette question ; mais on ne peut guère douter qu’il n’ait obtenu au moins des résultats partiels, car l’Angleterre le récompensa de ses services en lui accordant une pension, et dans un petit état de l’Allemagne ses pratiques ont été continuées avec succès par M. Schmittger[1].

  1. Ce fait est constaté par une lettre de M. le docteur Schutt, de Francfort, récemment écrite à M. Milne-Edwards. C’est dans la principauté de Lippe-Detmold qu’ont eu lieu les expériences de M. Schmittger.