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artificielles au repeuplement des rivières est due à un naturaliste allemand, c’est dans notre pays que la pisciculture a grandi, s’est perfectionnée, et est arrivée enfin à constituer une industrie véritable. Tous les progrès qui se sont accomplis depuis six ans dans cette branche de la science sont l’œuvre des savans français.

Le premier, M. de Quatrefages[1] fut conduit par des recherches purement scientifiques à s’occuper de la multiplication des poissons. Ce zoologiste, persuadé que les fécondations artificielles feraient disparaître les diverses causes qui nuisent au développement des œufs, conseilla d’employer la caisse à éclosion de Golstein (ou plutôt de Jacobi) pour les poissons d’eau vive. Pour ceux d’étang ou de vivier, il recommanda de déposer leurs œufs fécondés sur un fond d’herbes aquatiques dans un endroit où l’eau fût tranquille et peu profonde, et de les protéger par des treillis contre les attaques de leurs ennemis. Il fit voir combien l’emploi des procédés découverts par Jacobi faciliterait dans nos cours d’eau l’acclimatation des poissons étrangers. Enfin il indiqua la possibilité de rendre annuel le produit triennal et irrégulier des étangs en les divisant en trois ou quatre compartimens inégaux. Dans le plus petit, on ferait éclore les œufs, et on élèverait le fretin. Chaque année, on chasserait le poisson d’un compartiment dans l’autre, et le dernier bassin pourrait être péché tous les ans.

Le mémoire de M. de Quatrefages eut un grand retentissement, parce qu’il répondait à un des besoins de l’économie rurale, et qu’il permettait d’entrevoir une prospérité toute nouvelle pour l’industrie des étangs et des cours d’eau. Tirant de l’oubli les résultats obtenus en Allemagne pendant le siècle dernier, il ramena l’attention des naturalistes et des agriculteurs sur une question trop longtemps négligée, et dont il serait superflu aujourd’hui de faire ressortir L’importance. L’auteur était sans doute loin de penser que les conclusions auxquelles l’avaient amené ses études seraient presque aussitôt justifiées et confirmées par des expériences entreprises quelques années auparavant, mais qui n’avaient pas encore été rendues publiques. En effet, dans les premiers jours de mars 1849, l’Académie des Sciences apprit par une lettre du docteur Haxo[2], secrétaire de la Société d’émulation des Vosges, que cette société avait récompensé dès l’année 1844 deux pêcheurs de La Bresse,.MM. Rémy et Géhin, pour avoir fécondé et fait éclore artificiellement des œufs de truites. M. Haxo ajoutait que MM. Rémy et Géhin possédaient actuellement une pièce d’eau renfermant cinq ou six mille truites depuis l’âge d’un an jusqu’à trois, toutes élevées par ce procédé[3]. Il est impossible de ne pas admirer la sagacité et la persévérance de ces pêcheurs, qui, complètement illettrés et étrangers aux progrès des sciences naturelles, ont trouvé en eux-mêmes la puissance de remédier au dépérissement de leur industrie,

  1. Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, t. XXVII, p. 413. 1848. — Journal d’agriculture et de jardinage, n° de décembre 1848. Voyez aussi la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1849.
  2. Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, t. XXVIII, p. 351. 1849.
  3. Le tome V des Annales de la Société des Vosges, p. 235, 1844, contient un rapport où il est question des fécondations artificielles opérées par Bénir et Géhin, et de l’incubation des œufs dans des boites en fer-blanc percées de mille trous ; mais on n’y trouve l’indication d’aucun des résultats pratiques signalés plus tard par M. Haxo.