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et de lui donner un nouvel essor. Non-seulement ils ont refait à grand’peine les observations et les expériences qui occupèrent toute la vie de Jacobi, mais ils sont allés plus loin encore dans la voie de la pratique, et ont presque entièrement résolu le problème.

Quoiqu’ils aient tous les deux grandement participé au succès de l’entreprise, on sait aujourd’hui que les premiers efforts sont dus uniquement à Joseph Rémy, et qu’il ne s’associa Antoine Géhin qu’après avoir déjà à moitié réussi. Rémy étudia d’abord les manœuvres des truites femelles prédis à frayer ; il les vit écarter le gravier avec leur queue et se frotter le ventre pour faciliter la ponte. En ayant pris plusieurs dans cet état, il s’aperçut qu’en les serrant un peu dans la main, il en faisait sortir les œufs mûrs, et que la même chose arrivait pour la laitance des mâles. Alors il suspendit une femelle au-dessus d’un vase plein d’eau, et, au moyen d’une légère pression exercée de haut en bas, il fit tomber les œufs sur lesquels il répandit ensuite de la même manière le liquide fécondant du mâle jusqu’à ce que l’eau fût blanchie. Il mit ensuite ses œufs dans une boite en fer-blanc percée de mille trous et garnie d’une couche de sable à gros grains, il plaça la boite dans une fontaine d’eau pure ou dans le lit d’une rivière ; au bout d’un certain temps, il vit les petits éclore en dégageant leur queue la première.

Ces faits, que Rémy rapporte lui-même dans une lettre adressée en 1843 au préfet des Vosges, sont, on le voit, presque identiques à ceux que Jacobi a consignés dans son mémoire, comme ceux-ci l’étaient aux essais de dom Pinchon ; mais les deux pêcheurs de La Bresse ne s’en tinrent pas là[1]. Ce n’était pas tout d’avoir soustrait les œufs aux chances de destruction qui les menacent lorsqu’ils sont abandonnés à eux-mêmes, il fallait encore assurer le développement des jeunes et leur trouver une nourriture en rapport avec les besoins de leur âge : c’est ce que Rémy et Géhin surent faire. Après deux ou trois semaines d’un régime approprié à ces besoins, ils ouvrirent les boites qui contenaient le fretin, et le laissèrent courir librement dans une pièce d’eau ou dans une portion de la rivière disposée pour le recevoir. Ils avaient eu soin d’y élever à l’avance un grand nombre de grenouilles dont le frai est très recherché par les jeunes truitons. Plus tard, ils recoururent au procédé déjà employé pour l’entretien dans les viviers des poissons carnivores adultes[2].

Rémy et Géhin ont d’abord empoissonné deux étangs situés près du village de La Bresse, plusieurs ruisseaux de leur canton, les cours d’eau de la

  1. Haxo, d’Epinal, de la Fécondation artificielle et de l’éclosion des œufs de poisson, deuxième édition, p. 22, 1853, et Guide du pisciculteur, 1854. Voyez aussi le rapport du docteur Turck au comice agricole de Remiremont, 1850.
  2. « Pour nourrir leurs jeunes truites, dit M. de Quatrefages, ils semèrent à côté d’elles d’autres espèces de poissons plus petites et herbivores. Celles-ci s’élèvent et s’entretiennent elles-mêmes aux dépens dus végétaux aquatiques ; à leur tour, elles servent d’alimens aux truites, qui se nourrissent de chair. Ces pêcheurs sont ainsi arrivées à appliquer à leur industrie une des lois les plus générales sur lesquelles reposent les harmonies naturelles de la création animée. » En raison des nécessités de leur régime carnivore, il est important de ne mettre ensemble que les truites de même âge, autrement les petites deviendraient la pâture des grosses, et encore ne parvient-on pas toujours, en prenant cette précaution, à éviter complètement les funestes effets de leur voracité.