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sont destinés à vivre, en ayant soin toutefois de les placer dans des lieux convenables où ils trouveront du frai de grenouilles, des lymnées, des planorbes, etc. Ils doivent, dès ce moment s’essayer à chercher leur proie, et ainsi ils n’auront point à souffrir des changemens d’eau, de nourriture et d’habitudes auxquels ils sont nécessairement soumis, si on les élève artificiellement dans des bassins ne communiquant pas avec les cours d’eau qu’ils habiteront.

C’est principalement dans les départemens de l’Eure, de l’Aisne et de l’Oise que M. Millet a mis en pratique ces diverses méthodes. Des procès-verbaux émanant des autorités locales constatent les résultats importans qu’il a obtenus. M. Millet s’est livré en même temps à des observations délicates qui l’ont déjà conduit à quelques applications heureuses[1]. Il a recherché quelle était l’action de l’eau salée ou saumâtre sur les œufs des poissons qui quittent la mer pour frayer dans les eaux douces, et il a reconnu qu’elle est nuisible à leur développement dans les circonstances ordinaires, ce qui donne la raison d’être de l’émigration de ces animaux. Cependant le sel, qui ferait périr les œufs bien portons, à la singulière propriété de les guérir lorsqu’ils sont attaqués de taches blanches. Ces taches, qui probablement s’étendent de la surface au centre et qui amèneraient la destruction de l’œuf, si on les laissait grandir, disparaissent dans une eau très légèrement salée, et, quand on le traite à temps, le jeune poisson peut être ainsi sauvé. Il résulte encore des observations de M. Millet que la mortalité des œufs atteint toujours son maximum à l’époque où l’embryon commence à se constituer ; en conséquence, il conseille de n’en effectuer le transport que lorsque les yeux deviennent visibles, ou bien immédiatement après la fécondation. Il a remarqué enfin que les taches blanches d’une part, et les algues ou byssus de l’autre, envahissent beaucoup plus rarement les œufs de truite et de saumon à une température basse que si celle-ci est portée au-dessus de 10 degrés.

Là se termine le rapide exposé des applications que la zoologie a fournies à l’économie des étangs et des cours d’eau, et des progrès que cette industrie a faits dans ces dernières années. Les travaux des pêcheurs de La Bresse, Joseph Rémy et Géhin, et ceux de M. de Quatrefages, de M. Coste et de M. Millet représentent l’état actuel de cette branche de la science agricole. C’est à eux que revient l’honneur d’avoir perfectionné et régularisé les méthodes, et d’avoir arrêté les bases d’une culture jusqu’alors fort vague et fort précaire[2].

  1. Comptes-rendus de l’Académie des Sciences,t. XXXVII, séance du 26 décemb. 1853.
  2. Nous ne devons pas oublier de mentionner aussi les noms des propriétaires et des agriculteurs qui, guidés par les conseils de la science, ont pris l’initiative de l’expérience pratique qui se poursuit activement sur beaucoup de points de la France. Outre la piscifacture d’Huningue, entretenue par l’état, on a vu se former un grand nombre de piscines particulières, destinées à ensemencer des étangs ou des cours d’eau. Nous citerons, dans le département de l’Oise, les piscines de M. le baron de Pontalba à Mont-Lévêque, de M. le baron de Tocqueville à Beaugy, de MM. Davillier et Haitman à Saint-Charles, de M. Caron à Beauvais ; dans l’Aisne, celles de MM. Millet et Cagniard à Chauny, de MM. Millet et Lefebvre à La Clopperie ; dans l’Eure, celles de MM. Davillier et Hartmann à Gisors, de M. Victor Marchand à Saint-Paër, de M. Greenhill à Bezu-Saint-Éloi ; dans le département de Seine-et-Oise, celles de M. le vicomte de Curzay à Enghien ; dans le département de Seine-et-Marne, celles de Mme la princesse Bacciocchi au Vivier, de Mme la baronne de Mouzin à Farcy, de M. Pauly à Nemours ; dans l’Isère, celles de M. de Galbert à La Buisse, de M. Adolphe Périer a Vizille ; dans les Ardennes, celles de MM. Millet et Barachin à Ligny-le-Petit ; dans le département de Loir-et-Cher, celles de M. le marquis de Vibraye à Cheveny, etc. Enfin M. Levat en a organisé plusieurs pour les poissons d’eau douce et d’eau salée sur le littoral méditerranéen ; son exemple a été suivi par MM. Boissiere, Douillard, Festugières, Javal, etc., propriétaires du bassin d’Arcachon sur le littoral de l’Océan.