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II


LE MISSIONNAIRE.


i. — bretagne.


Filles de l’Ile-d’Arz, filles aux coiffes blanches,
Qui venez près des flots, les beaux soirs des dimanches,
Chastement vous nourrir de pieuses douleurs,
Faisant (vous l’avez dit) une partie-de-pleurs,
Des voyageurs martyrs les sublimes annales
Épanchent en amour vos âmes virginales ;
J’ajoute un doux récit aux Actes de la Foi :
Devant les flots déserts, vierges, écoutez-moi. –

Pâles et revêtus de leurs noires soutanes,
Ils viennent d’arriver dans le vieux port de Vannes ;
Le brick où monteront ces messagers de Dieu
Appareille. — Ô famille, amis, pays, adieu ! –
Qu’importe ! Ils sont là tous, silencieux et calmes,
Des martyrs pour la foi rêvant au loin les palmes :
Les fatigues, la faim, les supplices hideux
Et la mort ne feront reculer aucun d’eux.
Le livre universel, de naïves images,
Quelques outils de fer, appâts pour les sauvages
Ou des jouets d’enfans, — voilà pour les combats
Quelles armes suivront ces paisibles soldats.
Le plus jeune des douze, Évèn, portait encore
Pendant à sa ceinture un violon sonore.
Bien avant la prêtrise et l’âge régulier,
C’était le plus aimé de ses jeux d’écolier.
Après les longs travaux, chaque soir, dès novembre,
La musique amenait la gaîté dans la chambre ;
Et l’on dansait, légers, pour épargner le bois,
Ces passe-pieds bretons si vantés autrefois ;
Puis, avril fleurissant, quand la joyeuse bande
Volait, comme un essaim, par les prés, par la lande,
Barde mélancolique armé de son archet,
Le solitaire Évèn sur la grève marchait ;
Et ses doigts s’animant sur les cordes vibrantes,
Leurs sons clairs se mêlaient aux vagues murmurantes.