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et une incorporation pure et simple ? Relativement à l’attaque de la ligne des Balkans, il n’est pas moins clair que tout progrès, toute marche en avant des troupes du tsar au-delà du Danube ne peut qu’avoir ce caractère aujourd’hui. Qu’on remarque bien que le traité ne parle pas seulement du passage des Balkans, il parle de l’attaque, c’est-à-dire de toute entreprise dirigée vers ce but. Il en résulte que si l’armée russe reste dans ses positions actuelles, sur la rive droite du Danube, ou poursuit ses opérations, le cas de guerre avec l’Autriche se trouve posé par ce fait. Mais dans cette hypothèse, on ne saurait en disconvenir, l’armée russe se trouverait étrangement compromise ; elle aurait devant elle les Turcs, l’armée anglo-française, et derrière elle les Autrichiens, qui en quelques marches pourraient couper ses communications et atteindre la ligne du Pruth. Pour éviter cette extrémité, elle serait forcée de se replier et d’accomplir ce mouvement d’évacuation que la politique du tsar aurait refusé à l’Autriche, de telle sorte que le prétexte de la guerre disparaîtrait en réalité. La guerre ne continuerait que si la Russie, sous l’empire du ressentiment et de la vengeance, se détournait des Turcs pour se jeter sur l’armée autrichienne. Ce serait là certainement un état de choses singulier, une phase pleine de péripéties. Il en peut sortir les complications les plus inattendues, d’autres disent aujourd’hui qu’il en peut sortir une solution brusque et pacifique.

Quelle que soit en effet l’irritation ressentie par l’empereur Nicolas contre l’Autriche et contre la Prusse, quelque influence qu’ait prise dans ces derniers temps à Saint-Pétersbourg le vieux parti moscovite, les événemens, à mesure qu’ils se précipitent, ne laissent point d’inspirer quelque réflexion, et il est bien des Russes qui ne demanderaient pas mieux que de trouver un expédient propre à terminer cette formidable complication. Déjà, avant d’aller prendre le commandement de l’armée du Danube, le maréchal Paskevitch exprimait l’opinion qu’il se trouverait entouré d’insurmontables difficultés. Le comte Orlof et M. de Benkendorf passent pour incliner vers la paix. Il y a à Bruxelles toute une diplomatie russe, restée comme en observation et en attente, qui partage les mêmes dispositions. Il y a peu de jours encore, un agent de la Russie à Vienne s’exprimait assez hautement dans ce sens. Le difficile est de trouver une solution. Or cette solution, ceux qui la souhaitent le plus ont songé peut-être à la faire sortir des complications nouvelles créées par la convention austro-prussienne. — Pourquoi, disent-ils à peu près, l’armée russe ne ferait-elle pas, avant d’y être contrainte, ce qu’elle sera forcée de faire en présence d’une intervention décidée de l’Autriche ? Si cette intervention devient imminente, nous n’attendrons pas qu’elle se manifeste par des actes, nous lui enlèverons au contraire tout prétexte de se déclarer ; l’armée russe repassera le Pruth, et alors le cas de guerre prévu par le traité austro-prussien se trouvera annulé par le fait ; l’Allemagne sera renfermée dans sa neutralité.

Nous donnons le moyen pour ce qu’il vaut, sans même faire remarquer que la Russie se trouverait tardivement conduite au désaveu le plus singulier des hautaines prétentions de sa politique. On peut demander seulement, si l’empereur Nicolas accepte cette perspective d’une retraite volontaire, quoique exécutée par un cas de force majeure, pourquoi il ne l’a point ac-