Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1057

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un ensemble de contes, de fragmens liés par un récit humoristique dont l’auteur tient le fil. Les souvenirs d’une campagne faite autrefois par M. Champfleury aux Funambules y dominent. L’auteur n’a-t-il pas été en effet un jour le restaurateur, le poète de la pantomime ? C’est ce bulletin de ses anciennes victoires qu’il reproduit en lui donnant une forme toute personnelle, et en l’entremêlant d’histoires de tout genre, qui se ressemblent, il nous parait, en ce qu’elles n’ont pas plus que tout le reste la prétention de rien prouver. Ce n’est pas que dans les Contes d’Automne, comme dans les autres ouvrages de M. Champfleury, il n’y ait par moment la marque d’un talent réel ; mais ce talent est aujourd’hui plié à un système, il s’est créé un petit monde d’observations et de peintures d’où il ne peut sortir, il s’est fixé sur un sol ingrat qui ne produit pas toujours des fleurs, il s’en faut ; mais qu’importe ? C’est là encore le triomphe du réalisme de ne pas peindre toujours des fleurs. L’inconvénient de ce genre est de finir par n’être plus de la littérature, de n’être qu’une sorte de daguerréotype où manque toute expression vive et idéale.

C’est là cependant que tombe le génie passionné et inventif des fictions romanesques, et par malheur ce n’est pas seulement dans le roman que se fait sentir cette faiblesse d’imagination. On a beau chercher dans la poésie quelque germe près d’éclore, quelque symptôme d’inspiration nouvelle, quelque talent inconnu jusqu’ici : rien ne se révèle. La poésie n’est pas morte sans doute, mais elle se repose, et en attendant M. de Belloy publie les vers du Chevalier d’Aï, accompagnés du récit de sa vie et de ses aventures. Le chevalier d’Aï parait être une réminiscence de Joseph Delorme, seulement le personnage est ici bien différent. C’est un mousquetaire de bonne humeur, datant de l’autre siècle, jeté sur toutes les routes du monde par la révolution ; et ayant des aventures à Tunis, où il trouve un pacha de sa connaissance au milieu de son harem. Le malheur du chevalier d’Aï, dont les aventures n’ont pas laissé d’autre trace dans l’histoire, c’est que, sans y être aucunement forcé, il faisait de petits vers qui avaient tout juste l’originalité de sa vie, malheur d’autant plus grand que M. de Belloy a eu l’idée de reproduire ces vers en les illustrant de commentaires. Le chevalier d’Aï faisait des madrigaux, des parodies de nos grands poètes, et même des comédies qui heureusement n’ont point été représentées. Il est mort paisible, après une vie facile, sans avoir fait parler de lui, et destiné sans doute à n’en pas faire parler davantage après sa mort, même par la divulgation de ses œuvres poétiques. Après tout, ce chevalier d’Aï est encore un galant homme dont l’épicuréisme, comme il arrivait souvent autrefois, conserve un certain air de légèreté distinguée. L’épicuréisme grossier, il faut l’aller chercher dans un petit volume qui s’intitule Au fond du Verre. L’auteur parait se consoler de déceptions démocratiques en chantant ce qu’il appelle les voluptés brutales et en demandant sa part de soleil et d’or. Il parait croire qu’il n’y a point de milieu entre les effervescences d’un temps révolutionnaire et l’oubli au sein des plus matérielles ivresses. Se servir de la langue des vers pour chanter ces choses, parler ainsi durant tout un volume, quelque court qu’il soit, quand on parait être jeune, il n’y a de quoi rehausser ni le cœur ni l’esprit, et il vaudrait mieux croire que ce n’est là que la fantaisie d’une imagination surexcitée. L’auteur des Contes parisiens, M. Léon Bernis, n’en est pas là, pas plus que