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fardeau, leur apparaît, les cheveux épars et dans l’espèce de toilette que comporte une exhibition de ce genre, l’incomparable Sofia Bettrame !… Et Sofia Bettrame, — ne vous en doutiez-vous pas ? — c’est la comtesse, qui se donnait pour « la nièce d’un cardinal, » et dont le crédule James ne baisait le bout des doigts qu’avec un frisson de respect.

Dans cette famille Dodd, dont les travers et les mésaventures sont, il faut le croire, singulièrement exagérés, une seule personne a pour mission de représenter le bon sens et le bonheur : c’est miss Caroline, la plus jeune des deux sœurs. Attachée à son pays, à la simple existence qu’elle y menait, lasse du bruit menteur et du faux éclat après lesquels sa mère et sa sœur vont courant à l’envi, celle-ci ne se trouve vraiment à son aise qu’auprès de sa compatriote mistress Morris, dont le fils a quitté le service pour se consacrer tout entier aux soins qu’exige la santé de cette excellente femme. Morris, qui n’a qu’une fortune médiocre, s’est déjà vu refuser la main de Caroline, lorsque, par une de ces péripéties qui dénouent tant de romans anglais, la mort inattendue d’un cousin le met en possession d’un riche héritage, substitué de mâle en mâle. Le refus qu’il a éprouvé, — refus émané de mistress Dodd, à l’insu de son mari et de Caroline, — est désormais l’unique barrière qui sépare deux cœurs faits l’un pour l’autre. Or il ne faut être ni un romancier bien inventif pour la faire tomber, ni un lecteur bien pénétrant pour deviner que l’ex-capitaine Morris, devenu sir Penrhyn de Penrhyn-Castle, joue à la fin de ce drame de famille le rôle du Jupiter ex machinà. C’est lui qui, par sa haute influence, déconcerte les intrigues spoliatrices dont allait être victime son futur beau-père ; c’est lui qui rend un peu de bon sens à Jemima, née M’Carthy ; c’est lui qui réconciliera, sans nul doute, la pauvre Mary Anne avec son fiancé d’autrefois, le jeune docteur Belton ; c’est lui qui désabuse James sur le compte de lord George, et qui se chargera de ramener dans la bonne voie cet enfant prodigue dont il y a, malgré toutes ses erreurs, bon parti à tirer.

Nous avons donné de cette œuvre légère une idée assez complète pour qu’on nous dispense de la caractériser plus longuement. C’est bien là le roman irlandais avec ses qualités, — l’entrain, la sève, la fougue, la liberté d’improvisation, — et aussi avec ses défauts, — l’irréflexion, l’absence de tact et de mesure, l’exagération à fond de train, la gaieté vulgaire, le rire obtenu vi et armis. — Il faut l’accueillir avec l’indulgence due, vers la fin d’un dessert, aux bons compagnons qui le veulent égayer. De cette façon, et, comme on dit vulgairement, en a prêtant un peu le collet, » il y a là plus d’une aimable qualité à découvrir, plus d’une observation délicate à surprendre, plus d’un aperçu curieux à noter. Il a paru plus d’un volume tout aussi gros, — et ce n’est pas peu dire, car celui-ci a 640 pages petit texte, — au nom duquel nous n’oserions autant promettre.


E.-D. FORGUES.


V. DE MARS.