Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui M. Bridoux, qui venait de s’arrêter. Pendant que sa fille regardait le beau spectacle offert par le grand bassin, il s’était assis sur sa malle déposée à terre, et s’essuyait le front. — Où diable vont-ils par-là ? dit Jacques en voyant les passagers de l’Atlas, qui s’étaient remis en marche, prendre une direction qui les éloignait du centre de la ville ; il n’y a pas d’hôtels dans ce quartier. Après cela, ils savent où descendre, puisqu’ils n’ont pas demandé de renseignemens.

Comme on était arrivé à la place où stationnait ordinairement le yacht de lord W…, Jacques fut assez surpris en apprenant que l’Anglais était sorti du port le matin pour aller essayer une voilure nouvelle. Comme on était à basse mer, il ne pourrait plus rentrer qu’avec la marée du lendemain matin. — Puisque notre auberge tire des bordées, il s’agit d’en trouver une autre, dit Jacques. Je suis fâché que le capitaine Thompson soit absent ; je suis sûr qu’il aurait fêté mon retour par un certain vin de porto qui ferait honneur à une cave royale.

— Bah ! nous boirons du cidre, répondit Antoine ; il doit être bon. Jacques fit la grimace. — Chaque pays a sa plaie, dit-il en riant ; la Normandie en a deux : c’est le pavé et le cidre ; d’aucuns en ajoutent une troisième : les Normands.

Les deux jeunes gens étaient retournés sur leurs pas pour se mettre en quête d’un gîte provisoire. Antoine rappela à son compagnon quelles raisons il avait pour ménager sa bourse. — Un de mes amis, qui a fait une tournée dans ce pays, m’avait donné une note de renseignemens sur les endroits où je pourrais m’arrêter sans être trop écorché ; mais je l’ai oubliée à Paris, dit-il, n’osant pas avouer que ces renseignemens faisaient partie de l’itinéraire contenu dans l’album que M. Bridoux ou sa fille ne lui avait pas restitué.

— Soyez tranquille, répondit Jacques ; je n’ai pas plus de raisons que vous de me montrer prodigue. Je vais vous mener dans un endroit que je connais. La clientèle ne se compose pas exclusivement de grands seigneurs : ce sont de braves gens plus bruyans de paroles que d’écus, doués d’un large ventre, qui pratiquent, sans connaître Rabelais, la théorie du bien-vivre, et ne se montrent pas difficiles, pourvu que tout soit bon. Quant à l’hôtelier, il fera à notre mince bagage le même accueil que si nous arrivions dans une chaise à quatre chevaux, avec un domestique pour chaque malle et une malle pour chaque chemise. Tout le monde est toujours de bonne humeur dans cette maison-là, même les poules, qui viennent vous dire bonjour un quart d’heure avant qu’on ne les mange.

En devisant ainsi, les deux amis arrivèrent devant une auberge ayant pour enseigner au Bon Couvert. Comme Jacques l’avait prévu, on les reçut très bien. — Et voilà le dîner qui nous souhaite sa