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agrégations successives : un jour le Montferrat, la Lomelline, Alexandrie ; un autre jour Novare, Tortone ; une autrefois Vigevano, Bobbio, Arona ; puis Gênes en 1815. Dernier né de la civilisation italienne, le Piémont a échappé aux causes de sa décadence, et lorsqu’à la fin du XVIIIe siècle, la Lombardie, restée définitivement à l’Autriche depuis 1713, s’énerve dans cette corruption dont Parmi a laissé la peinture dans son poème du Giorno, c’est sur le sol piémontais qu’Alfieri fait retentir l’accent du patriotisme italien renaissant. Le Piémont entre à son tour dans la civilisation italienne avec Alfieri et Lagrange.

Représentez-vous l’Italie, dans la complexité de ses intérêts et le mouvement de ses antagonismes, comme la Grèce ancienne ou l’Allemagne moderne : le Piémont en sera la Macédoine ou la Prusse, — peuple façonné à l’action, élevé dans les camps et tendant à ce que les savans appellent l’hégémonie. « Il a plu à Dieu, disait un jour le roi actuel de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, de former la monarchie prussienne par l’épée. » Ainsi il en a été du Piémont. Il y a plus d’un siècle, un ministre français, le marquis d’Argenson, le pressentait en disant : « Il est à l’Autriche en Italie ce que la Prusse lui est en Allemagne. » La vérité de ces paroles n’a-t-elle point éclaté en 1848 ? Et comment l’Autriche, héritière de toutes les dominations étrangères au-delà des Alpes, et le Piémont, toujours en voie d’agrandissement, ne se seraient-ils pas rencontrés dans les plaines lombardes pour disputer l’indépendance du nord de l’Italie ? Depuis quatre siècles, la maison de Savoie tend vers Milan et la Lombardie, et telle est la véritable politique du Piémont, la politique italienne, celle d’Emmanuel-Philibert, de Charles-Emmanuel Ier, de Charles-Emmanuel III, non la politique qui a cherché parfois des accroissemens du côté de la France. Dès le XVe siècle, il y a entre les Milanais et le duc Louis de Savoie une ligue où on dirait que se retrouvent toutes les espérances de Charles-Albert, et même déjà toutes les causes qui l’ont fait échouer. Dans le plan fameux de Henri IV pour la réorganisation européenne, les ducs de Savoie devenaient rois de Lombardie. Quand, il y a un siècle, Charles-Emmanuel III s’alliait avec Marie-Thérèse dans la guerre de la succession d’Autriche, par une subtilité diplomatique singulière il réservait ses droits sur le duché de Milan dans la convention provisoire d’alliance.

Au moment même où un intérêt commun semble rapprocher de nouveau le Piémont et l’Autriche pour soutenir ensemble le choc des armées républicaines françaises à la fin du XVIIIe siècle, c’est encore un des plus curieux spectacles de voir se dessiner à travers les événemens le jeu secret de ces tendances et de ces antagonismes déguisés en alliances. Le Piémont signe la paix de 1797 après trois ans de brave résistance, et en même temps il négocie auprès du directoire,