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certaine adhésion publique, des réformes modérées, mais justes et déjà enracinées ; de l’autre, des gouvernemens renaissans portés à confondre le bien et le mal, des pouvoirs de réaction qui tendaient à tout dater de l’époque de leur disparition et à ne laisser rien subsister de ce qui s’était fait depuis quinze ans : tel était, au point de vue intérieur, l’ordre de faits et d’antagonismes que les catastrophes de 1814 et de 1815 venaient inaugurer.

Les traités de Vienne étaient de nature à compliquer encore cette situation, sous d’autres rapports, par l’organisation générale qu’ils décrétaient. L’Autriche rentrait en Italie. Ce n’était plus, il est vrai, le saint-empire avec le prestige du vieux droit féodal. Ce titre même de saint-empire, le temps l’avait moralement détruit ; la main victorieuse de Napoléon l’avait fait disparaître en 1805[1], et les traités de 1815 ne le faisaient pas revivre. L’Autriche n’était plus qu’une puissance allemande ayant des possessions en Italie ; mais d’abord ces possessions étaient autrement étendues qu’en 1789. Aux duchés de Milan et de Mantoue venaient se joindre Venise, Bergame, Brescia, Vérone, Vicence, les plus fortes positions, les plus fertiles provinces, un royaume tout entier embrassant la Haute-Italie et peuplé de six millions d’hommes. En outre, l’Autriche devait être nécessairement conduite à rétablir en fait sur les autres états italiens cette haute suzeraineté qu’aucun droit ne lui attribuait. N’était-il point évident en effet que le jour où l’un de ces états se sentirait assez indépendant pour devenir un foyer de mouvement, le point de ralliement des instincts patriotiques de l’Italie, la domination étrangère serait sans sécurité ? De là pour l’Autriche une politique dont on ne saurait lui faire on crime. Il n’y a que les esprits oiseux qui imaginent qu’un grand empire va abandonner de grandes possessions sans combat, sans tout épuiser pour les garder. La politique de l’Autriche a été ce qu’elle ne pouvait manquer d’être d’après la position qui lui était faite par les traités de 1815. Elle n’a vu dans l’ensemble de la péninsule qu’un vaste système dont l’empereur serait le centre et le régulateur. Dans cette pensée souvent manifestée, le Piémont, par exemple, n’était que l’avant-garde de l’Autriche au-delà des Alpes. Dès 1815, le cabinet de Vienne signe un traité d’alliance avec Naples, et par un article secret le roi des Deux-Siciles s’engage à ne réaliser dans les institutions du pays aucun changement qui ne se concilierait pas « avec les principes adoptés par sa majesté impériale

  1. L’empereur François, comme on le sait, avait abdiqué dès 1804 le titre d’empereur d’Allemagne pour prendre celui d’empereur d’Autriche ; mais il est évident que le souverain autrichien n’avait accompli volontairement ce sacrifice qu’afin de ne point y être contraint par Napoléon, dont les vues sur la confédération germanique étaient assez claires.