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ses premières années, qui venait embarrasser son présent et son avenir ; dans ce prétendu auxiliaire, il flairait l’ennemi. Aussi, lorsqu’en 1833 la propagande de la Jeune-Italie se faisait sentir à Gênes, à Chambéry, dans l’armée elle-même, elle était subitement arrêtée par les répressions les plus sévères. C’étaient là les momens terribles de ce règne naissant. Partout des commissions militaires étaient organisées ; il y avait des victimes qui inspiraient l’intérêt, le jeune officier Effisio Tola, Andréa Vocchieri. Lorsque peu après, en 1834, M. Mazzini rassemblait une légion de réfugiés de tous les pays pour les jeter en Savoie, sous les ordres de Ramorino, qui, par une coïncidence singulière, devait périr fusillé après Novare sous le soupçon de trahison, cette entreprise, dictée par l’impuissance et la folie finissait par le ridicule, et ne faisait qu’ajouter aux répressions. Dès lors la question était tranchée ; — l’esprit révolutionnaire était pour longtemps vaincu dans le Piémont, et le nouveau roi sortait de la lutte, libre de toute solidarité avec un ennemi qu’il haïssait et qu’il redoutait à la fois comme par un secret pressentiment.

D’un autre côté, quelle était dans ces premières années la situation de Charles-Albert vis-à-vis de cet autre genre d’influences léguées par le règne précédent ? Il était roi, mais roi suspect et observé, en défiance aux hommes que leurs inclinations poussaient à chercher un appui dans le patronage autrichien aussi bien qu’à ceux dont les croyances monarchiques et religieuses s’alliaient à un certain sentiment d’indépendance ; il était toujours à leurs yeux le prince de Carignan, le complice secret ou avoué de la révolution de 1821. Il n’ignorait pas qu’au temps de Charles-Félix, un père de la compagnie de Jésus disait en montrant un portrait de la duchesse de Modène, fille de Victor-Emmanuel : « Prions pour que ce soit cet ange qui nous gouverne, car si Charles-Albert montait sur le trône !… » De la part de l’Autriche, la confiance ne pouvait être grande, et les autres cours du Nord ne laissaient point ignorer au nouveau roi qu’elles étaient d’accord avec l’Autriche pour ne supporter aucun changement de direction politique dans le Piémont, surtout aucune réparation donnée aux hommes de 1821. Toute précipitation pouvait devenir périlleuse, principalement au début d’un règne encore mal affermi, et il n’y avait qu’à compter avec le temps et avec les circonstances. De là toute une œuvre de diplomatie singulière poursuivie, avec obstination à travers toutes les méfiances conjurées. Qu’on songe qu’il fallait un an et la mort du ministre titulaire pour faire arriver le portefeuille de la guerre entre les mains de M. de Villamarina, esprit intelligent et habile, enclin aux réformes, et qui avait été ministre pendant la courte régence du prince de Carignan en 1821 ! C’était bien autre chose encore pour amener au ministère