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et du mouvement d’opinion qui se propageait, l’Italie entrait dans une voie singulièrement nouvelle. Rien n’était changé en apparence dans les gouvernemens, le vieil organisme des pouvoirs absolus ne cessait point d’exister, mais il s’établissait une sorte de liberté tacitement consentie d’abord. Des congrès scientifiques, qui s’étaient succédé de ville en ville, avaient été la première issue ouverte aux préoccupations des esprits. Les ouvrages de Gioberti, de Balbo, étaient-ils tolérés, étaient-ils interdits ? On ne le savait, ils circulaient et parlaient vivement aux imaginations. Charles-Albert lui-même, dit-on, connaissait le livre des Espérances de l’Italie avant sa publication. Une presse nouvelle, aux allures plus libres, pleine d’appels aux souvenirs nationaux, se formait peu à peu, représentée par l’Italia de Pise, la Patria de Florence, le Felsineo di Bologna, le Mondo illustrato de Turin, l’Anthologie italienne, où écrivaient MM. d’Azeglio, Cavour, Boncompagni, Farini, Scialoja. Il n’y avait point de parlemens ; la tribune était un peu partout, sur les places publiques. Le peuple le plus impressionnable et le plus enthousiaste de la terre se faisait une politique qui était une fête perpétuelle. Contraint de la dissimuler encore, il lui donnait le masque du plaisir. À vrai dire, là était le danger, dans cette coexistence de pouvoirs demeurés absolus en principe, investis de prérogatives dont ils n’usaient plus, et de libertés irrégulières, de manifestations publiques indéfinies. Il eût été mieux de voir que ces périodes d’ivresse n’ont rien de normal et de durable, que lorsqu’un peuple en est venu à ce point, il faut se hâter de faire un choix entre ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas ; il faut préciser son action et rallier les esprits incertains.

L’Autriche s’effrayait de cette situation, elle en avait le droit : c’était la destruction lente, graduelle, pacifique de sa prépondérance en Italie d’abord, de sa sécurité dans ses propres provinces de la Lombardo-Vénétie ensuite, et au bout c’était son exclusion définitive de la péninsule. Placée par les traités de 1815, comme je l’ai dit, dans l’alternative de dominer en Italie ou de se sentir menacée jusque dans ses possessions, elle se trouvait rejetée vers cette dernière extrémité. Son influence s’était fortifiée et accrue jusque-là de tout le péril que le radicalisme, son fidèle et involontaire complice, créait aux princes italiens, et ses efforts étaient subitement tournés, pour ainsi dire, par une agitation pacifique qui se plaçait sous la sauvegarde des princes eux-mêmes, en se ralliant à leurs droits et à leur autorité. C’est surtout par ce caractère modéré que le mouvement italien était dangereux pour l’Autriche, et le directeur de la police de Venise le faisait remarquer dans un rapport au comte Palfy. « On a transporté la bataille du progrès, disait-il, du terrain de la violence