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sur le terrain moral d’un travail pacifique et continu… Le venin de la propagande littéraire s’infiltre goutte à goutte dans les esprits ; il opère lentement, mais il s’empare d’une manière irrésistible des hommes les plus paisibles et amis de l’ordre, surtout de la jeunesse, si accessible aux impressions de nationalité… Quand on sera parvenu à nous aliéner la population tout entière, notre situation en Italie deviendra pour le moins assez difficile… » Dans le fait, la Toscane elle-même, où régnait un archiduc, mais où existaient de vieilles traditions de gouvernement modéré, était pleinement acquise à l’esprit nouveau qui dominait en Italie, et le prince de Metternich adressait vainement une lettre comminatoire au grand-duc. À Naples, le roi résistait encore, pour aller bientôt du premier coup jusqu’à la proclamation d’une constitution. Dans la Lombardie, les sentimens qui ne pouvaient se faire jour fermentaient secrètement.

Mais les deux foyers principaux étaient Rome et Turin : — Rome, où un pape réformateur sorti du conclave du 17 juin 1846 avait ouvert l’ère d’un pontificat généreusement inspiré ; — Turin, où vivait Charles-Albert, le prince engagé avec l’Autriche dans un démêlé commercial rapidement aggravé. Cette simple question des sels du Tessin n’avait pas seulement remué les esprits dans le Piémont, elle était allée particulièrement retentir en Lombardie, en réveillant les pensées de 1821. Il en était de même de tous les actes que Charles-Albert, sans sortir d’une sorte d’impassibilité extérieure, jetait de temps à autre comme une énigme à l’opinion attentive et ardente. Ce travail était si avancé en peu de temps, à mesure que le système des réformes prévalait plus manifestement dans le Piémont, que vers la fin de 1847, à Milan, lorsqu’on voulait parler du souverain piémontais, on l’appelait simplement le roi. Tous les regards se fixaient de plus en plus sur lui. « On eût dit, selon un des narrateurs des événemens de ce temps, que le destin de l’Italie s’agitait dans la conscience de Charles-Albert. De son pays, on ne doutait pas ; on épiait l’homme, on cherchait des nouvelles de son antichambre, de son cabinet, de son cœur… »

Dans ses débats intérieurs avec lui-même, Charles-Albert n’hésitait pas sur le but ; il hésitait sur les moyens, sur l’heure, sur la nature extraordinaire de ce mouvement qui emportait l’Italie. Ce qui l’effrayait, ce n’était pas la pensée de réformes civiles et administratives, ni même d’un régime constitutionnel ; c’était M. Mazzini et la secte radicale qu’il entrevoyait toujours devant lui comme par un pressentiment secret. Un jour, un des hommes qui l’approchaient à cette époque se trouvait au palais, revenant du congrès scientifique de Gênes. Charles-Albert se montrait fort curieux de détails qu’on n’était pas pressé de lui donner, peut-être par défiance. « Et