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tout différend entre son pays d’adoption et le pays où il se trouvait maintenant accrédité comme représentant d’un monarque étranger après y avoir jadis exercé ses droits de citoyen. On eût dit qu’il avait pris une position intermédiaire entre ces deux patries, et en effet cette position était si peu déterminée, qu’il fut sérieusement question à plusieurs reprises de le faire entrer dans le ministère de Louis XVIII et dans la chambre des pairs, avec l’agrément de l’empereur Alexandre.

L’ambassadeur d’Angleterre, sir Charles Stuart, avait une tout autre attitude. Bien inférieur en capacité au général Pozzo, quoiqu’il ne manquât ni de pénétration ni d’esprit, d’un caractère peu bienveillant, capricieux et très accessible aux préventions, animé outre mesure de ces préjugés et de cet égoïsme britanniques qui rendent un bon nombre de ses compatriotes si intraitables dans le maniement des affaires, il ne voyait qu’avec une défiance presque hostile le nouveau cabinet français, précisément parce que ce cabinet était en bonnes relations avec la Russie, et dans le jugement qu’il en portait, il subissait plus peut-être qu’il ne s’en rendait compte à lui-même l’influence de M. de Talleyrand, déjà fatigué de ses loisirs et tout occupé à discréditer, à ébranler un ministère dont il se croyait certain de recueillir prochainement l’héritage. Les envoyés d’Autriche et de Prusse, l’honnête et sensé général Vincent, et M. de Golz, se tenaient, entre ceux de l’Angleterre et de la Russie, sur une ligne intermédiaire, et ne paraissaient aspirer à aucune influence, à aucune action personnelle.

On était loin d’ailleurs, à cette époque, du moment où les dissentimens dont je viens d’indiquer le germe pourraient se manifester avec quelque liberté. Ils étaient alors dominés et contenus par une grande et unique préoccupation, celle des périls auxquels les exagérations du parti dominant dans la chambre des députés exposaient la France et l’Europe. Les propositions imprudentes qui se succédaient dans cette assemblée, avec l’assentiment marqué de la majorité, pour le rétablissement d’une grande partie des institutions abolies par la révolution, les cris de vengeance, les discours sanguinaires qui y retentissaient journellement, les vives attaques dirigées du haut de la tribune contre des ministres coupables de ne pas seconder assez vivement cette réaction, tous ces symptômes d’agitations nouvelles effrayaient la sagesse des cabinets. Bien que Louis XVIII ne partageât pas les passions de la plupart des princes de sa famille et de presque tout son entourage, on trouvait qu’il n’y opposait pas une résistance assez énergique et qu’il soutenait trop faiblement ses conseillers officiels. Sa réputation, justifiée en apparence par tout ce qui s’était passé depuis la première restauration, était alors celle d’un prince faible et sans volonté, à qui un favori était absolument