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commerce, à l’industrie. Malgré les souffrances passagères d’une disette presque équivalente à une famine, le produit des impôts s’élevait au-dessus de toutes les prévisions. À l’appel d’un gouvernement qui, pour la première fois, malgré les déclamations sophistiques de l’esprit de parti, proclamait le respect scrupuleux de tous les engagemens de l’état, le crédit renaissait dans des proportions encore bien modestes sans doute, si on les compare à ce qu’on a vu depuis, mais que personne un peu auparavant n’aurait osé espérer. Ce qui eût été impossible à Napoléon vainqueur et maître de l’Europe, la France, encore occupée par l’étranger, mais librement gouvernée, le pouvait déjà : elle trouvait à emprunter les sommes énormes dont elle avait besoin pour entretenir l’armée d’occupation et pour payer les contributions qu’on lui avait imposées, et les puissances alliées s’étonnaient, quelques-unes s’effrayaient peut-être de l’exactitude avec laquelle s’accomplissaient de tels engagemens.

En présence d’une telle amélioration, elles crurent pouvoir, dès la seconde année qui suivit le traité du 20 novembre, diminuer d’un cinquième la force du corps d’occupation qui garantissait à l’Europe l’exécution de ce traité. C’était tout à la fois un moyen d’augmenter la force morale du ministère à qui on donnait ce témoignage de confiance, et de faciliter sa tâche en allégeant tant soit peu les charges du pays. La Russie et l’Autriche, jalouses de se donner le mérite de cet allégement, semblèrent s’en disputer l’initiative. Le cabinet de Londres s’y prêta aussi d’assez bonne grâce, mais son ambassadeur, sir Charles Stuart, et le duc de Wellington lui-même y avaient mis moins d’empressement. Ils pensaient qu’on agissait avec un peu de précipitation. On peut croire que leurs rapports habituels avec M. de Talleyrand n’étaient pas sans influence sur le jugement qu’ils portaient de l’état de la France. Cet ancien ministre, déçu dans l’espérance de revenir promptement au pouvoir et ne pouvant supporter la perte de la grande position qu’il avait eue pendant les premiers temps de la restauration, en avait conçu un si violent dépit contre le ministère du duc de Richelieu et s’était livré à des manifestations d’une opposition si peu mesurée, que le roi s’était cru obligé de lui interdire momentanément l’entrée des Tuileries. Dans son impatience, il se rapprochait de plus en plus des ultra-royalistes, ses anciens adversaires, comme lui en guerre ouverte avec le cabinet. Il s’efforçait de faire croire que sa disgrâce était le résultat de l’influence russe, à laquelle il s’était toujours montré hostile, et que le gouvernement britannique désirait au contraire le voir reprendre place au conseil. Pour accréditer ce bruit et aussi pour se ménager en réalité l’appui de l’Angleterre, il affectait de tenir sir Charles Stuart au courant de toutes ses démarches, et il en écrivait même à lord Castlereagh. Ce manège et les calculs qui l’inspiraient n’échappaient pas à la pénétration