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de l’ambassadeur anglais ; mais, comme il arrive souvent, tout en se défiant des assertions et des intrigues de M. de Talleyrand, il ne pouvait se soustraire complètement à l’effet d’insinuations, sans cesse renouvelées, qui flattaient ses passions et venaient à l’appui de ses soupçons jaloux contre la Russie. Le mécontentement qu’il éprouvait de l’intimité toujours croissante du général Pozzo avec les ministres français le disposait d’ailleurs à accueillir facilement tous les rapports défavorables à la politique de ces ministres, et il en vint bientôt à croire que l’envoyé russe était l’inspirateur de tous leurs actes comme de tous leurs choix. Il ne parait pas que ces préventions de sir Charles Stuart trouvassent accueil dans l’esprit plus élevé de lord Castlereagh.

Trois ans s’étaient déjà écoulés depuis le traité du 20 novembre. On touchait au terme auquel les puissances s’étaient réservé d’examiner si la situation de la France permettrait de mettre fin immédiatement à l’occupation, ou s’il conviendrait de la prolonger encore pendant deux années. Cette situation continuait à se présenter à leurs yeux sous un aspect satisfaisant. Les progrès rapides de la prospérité matérielle et l’affaiblissement continu du parti ultra-royaliste, dont chaque tour d’élection éclaircissait les rangs dans la chambre des députés, leur persuadaient que le gouvernement du roi avait surmonté tous les obstacles vraiment sérieux. Exclusivement préoccupés des dangers si grands et si réels que ce parti avait fait courir naguère à la France, les alliés ne semblaient pas se préoccuper beaucoup de ceux que pouvait dès lors faire craindre la résurrection des partis révolutionnaire et bonapartiste, dont les coryphées, se déguisant sous les couleurs du libéralisme et cachés d’abord parmi les défenseurs sincères de la modération et de la liberté, commençaient à prendre dans la chambre élective, où ils ne siégeaient pourtant encore qu’en très petit nombre, un langage altier et menaçant. Quelques hommes prévoyans soupçonnaient le péril, mais les pronostics alarmans auxquels ils se livraient étaient peu écoutés, parce qu’on les confondait avec les déclamations insensées des ultra-royalistes contre tout ce qui se passait depuis le 5 septembre 1816.

Le parti ultra-royaliste, bien que fort mécontent des cabinets alliés et de l’appui qu’ils accordaient au ministère du duc de Richelieu, n’entrevoyait pas sans effroi le moment où la France se trouverait livrée à elle-même. Il s’efforça, par ses intrigues, de retarder le départ de l’armée d’occupation. C’est dans cette vue qu’il fit parvenir aux quatre grandes cours la fameuse note secrète dont la découverte et la publication jetèrent sur lui tant d’impopularité. Ce parti entretenait quelques relations avec la cour d’Autriche. Il y a lieu de croire que M. de Metternich, en se prêtant à ces communications équivoques avec les adhérens de Monsieur, se proposait surtout