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que la prudence ne le permet. Cela pourrait, dans certaines éventualités, devenir pour nous une source d’embarras. »

Lord Castlereagh répondit, le 9 novembre 1818, tant à la précédente lettre qu’à d’autres que je n’ai pas sous les yeux, et qui étaient conçues dans le même sens :


« Je me suis arrangé, dit-il, pour éviter, dans le cours de la négociation, les commentaires sur les affaires intérieures de la France ; mais lorsque nous en sommes venus à la rédaction, et qu’elle s’est trouvée remise entre les mains de Capodistrias, il a été impossible de prévenir ces épisodes et difficile de retrancher certaines expressions une fois introduites dans un projet. Il en est d’ailleurs, par exemple celles de légitime et constitutionnelle, qui, vous pouvez vous le rappeler, ont déjà été employées dans quelques-unes de nos notes de 1815, et qui sont devenues pour la chancellerie russe des termes sacramentels dont elle use aussi souvent que possible. Je me suis pourtant efforcé de leur persuader, sinon d’y renoncer entièrement, au moins d’en faire un usage plus sobre ; mais vous ne pensez pas, j’espère, que ce soit là un point dont il y ait lieu de faire une condition sine qvâ non, d’autant plus que ces projets ont été communiqués, pour gagner du temps, au duc de Richelieu, bien que confidentiellement, et qu’en ce moment ils sont connus à Paris. Je n’insisterai donc sur aucun changement de cette nature auquel il aurait des objections, mais en vérité il doit désirer comme nous arranger les choses de telle manière que les affaires de France deviennent aussi peu que possible un sujet d’attaque pour l’opposition anglaise. Je crois qu’il peut désirer quelque témoignage de confiance de la part des puissances envers le roi. C’est dans cette vue, et pour fortifier son gouvernement, qu’on avait placé dans la note adressée au duc de Richelieu le passage qui a attiré l’attention de Canning. J’aurais beaucoup préféré qu’il n’y fût pas, mais si vous l’examinez attentivement, je ne pense pas que les deux propositions qu’il contient puissent nous embarrasser beaucoup dans la discussion à laquelle il donnerait lieu, alors même que les choses viendraient à mal tourner. — Nous déclarons que des progrès ont été faits dans les trois dernières années, et que nous comptons sur la sagesse du roi pour la consolidation progressive de l’ordre de choses établi en France. La vérité de la première de ces assertions ne peut être mise en doute : c’est par elle que nous pouvons justifier l’évacuation de la France. La seconde est fondée sur une espérance dont l’expression est peut-être utile au roi, et qui, lors même qu’elle viendrait à être déçue, ne peut nous faire encourir une bien grave responsabilité. Tant que nous maintenons la quadruple alliance, nous prouvons assez que notre vigilance n’est pas en défaut… Quant à l’allusion faite à la sainte-alliance, je crois que Canning, s’il veut relire la lettre écrite en 1815 par le prince régent aux souverains réunis à Paris, reconnaîtra que nous ne pouvions y rien objecter, et j’ajouterai que si nous voulons marcher encore quelque temps avec la Russie, nous devons prendre notre parti d’un vocabulaire tant soit peu anormal. »


Tels sont les argumens que lord Castlereagh opposait aux méticuleux