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nomination d’un de ces hommes redoutés, en portant toutes les voix dont il disposait sur un adversaire moins violent. Presque au même moment les opérations du recrutement militaire, pratiqué pour la première fois d’après la loi libérale votée dans la dernière session, donnèrent lieu, sur plusieurs points, à des manifestations dans lesquelles on crut voir le réveil du bonapartisme et de l’esprit de guerre.

Les souverains et les ministres, qui n’avaient pas encore quitté Aix-la-Chapelle, ne dissimulèrent pas leur pénible surprise d’un tel résultat du système auquel ils avaient jusqu’alors prêté leur appui. M. de Richelieu lui-même, qui déjà depuis quelque temps craignait de s’être laissé entraîner trop loin, manifesta plus que jamais l’intention de s’arrêter dans la voie où l’on marchait depuis le 5 septembre 1816, de tendre la main aux ultra-royalistes, déjà trop affaiblis pour qu’on ne dût pas compter de leur part sur plus de modération, et, avec leur appui, avec celui des hommes sages, ennemis de tous les excès, d’opposer, pendant qu’il en était temps encore, une barrière aux progrès du parti de la révolution, malheureusement aidé par d’imprudens théoriciens. Tel était le point de vue du duc de Richelieu et de quelques-uns de ses collègues ; mais d’autres, parmi lesquels M. Decazes tenait le premier rang, crurent qu’il ne serait pas sans danger d’aller chercher des auxiliaires dans le parti même qu’on avait si longtemps et si vivement combattu, qu’une pareille alliance, en jetant l’alarme dans la masse de la nation encore tout animée des frayeurs et des ressentimens que lui avait inspirés le régime de 1815, donnerait aux agitateurs de la démocratie des prétextes spécieux pour remuer les esprits, et que le meilleur moyen qu’eût le gouvernement de déjouer leurs efforts malveillans, c’était de se placer avec plus de résolution qu’il ne l’avait l’ait jusqu’alors dans la ligne constitutionnelle.

Il n’est pas de mon sujet de raconter les incidens de la lutte qui s’engagea ainsi dans le cabinet, de montrer les ressorts très divers et encore aujourd’hui très peu connus qui en déterminèrent la naissance et en amenèrent la conclusion. J’ai dû seulement expliquer sous quel aspect elle apparaissait alors au public et aux gouvernemens étrangers. On sait qu’après de nombreuses vicissitudes, elle se termina par la retraite du duc de Richelieu et de presque tous les autres ministres, et qu’un nouveau cabinet, formé sous l’influence de M. Decazes, mais dont le général Dessolle était le président nominal, prit la direction des affaires.


L. DE VIEIL-CASTEL.