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de l’incrédulité moderne. Malheureusement il y a des gens qui ne voient plus que désordre là où règne une certaine liberté ; l’unité obtenue à tout prix, l’unité silencieuse, peut seule rassurer l’égoïsme pusillanime et la frivolité sceptique, faiblesses dominantes de nuire époque. Ceux qui ne voudraient en ce monde que dormir leur sommeil ont depuis un temps conçu une aversion générale pour les choses qui agitent la conscience humaine. La réformation a partagé le sort de tout ce qui, dans le passé, a troublé la quiétude sociale, et la rancune d’une réaction irréfléchie a remonté jusqu’au XVIe siècle.

Comme ce rigorisme futile est ordinairement accompagné d’une grande paresse d’esprit et fait profession d’être sans curiosité, on a généralement négligé et même ignoré, en dehors des communions protestantes, les travaux intellectuels qui s’opéraient dans leur sein. On ne connaît guère toute une littérature réformée qui se publie à côté de nous. Sermons, apologies, controverses, romans religieux, monographies, biographies, livres d’histoire enfin, il s’est composé entre Genève et Paris, depuis quinze ou vingt ans, bon nombre d’ouvrages de toutes sortes, nullement indignes de l’attention publique. Dans ces écrits, le bon et surtout l’excellent est rare comme partout, mais il y a très peu de mauvais. On y peut critiquer une certaine monotonie d’idées et de manières, de la raideur, de la froideur, moins d’imagination que de sens, enfin, pour le fond, plus d’élévation que d’étendue dans la pensée ; mais le ton de la sincérité et de la conviction, la gravité, un profond sentiment moral, une instruction solide, une constance intellectuelle qui se défend des engouemens et des dérèglemens de la fantaisie contemporaine, une honorable fidélité aux vrais intérêts de l’humanité, à ces intérêts dont le premier est la dignité de l’homme, voilà ce qui recommande ces productions, et même les plus médiocres. Quelques-unes doivent être particulièrement distinguées. Par exemple, l’Histoire des Protestans de France, par M. de Felice, est un ouvrage bien pensé, bien écrit, dont le seul défaut est le manque de nouveauté d’une grande partie du sujet. Nous ne louerons pas après M. Villemain la remarquable Histoire de la Littérature française à l’étranger, par M. Sayous. Sur un sujet analogue, M. Weiss vient de publier deux volumes très intéressans[1]. Avec des talens divers, un esprit de véritable sagesse brille dans tous ces ouvrages. On trouvera plus de défauts peut-être, mais bien plus d’originalité et d’éclat, dans l’Histoire de la Réformation, par M. Merle d’Aubigné. Cette histoire, un des livres distingués de notre temps, a obtenu un grand succès en Angleterre et en Amérique. Souvent réimprimée et traduite, elle pourrait bien être plus connue

  1. Histoire des Réfugiés protestans de France. 2 vol. in-12.