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au pied de la lettre, si on les entendait dans un sens absolu, il paraîtrait en résulter que l’homme ne contribue en rien à son propre salut. Dès que tout ce qui vient de lui est péché, le salut vient tout entier de Jésus-Christ ; nos actes propres ne peuvent à aucun degré contribuera nous en rendre dignes. Rien n’est mérite dans le salut, tout est grâce. Il n’y a de mérite, il n’y a de justice que dans le Rédempteur, et c’est par grâce que sa justice et ses mérites nous sont imputés ; c’est par la foi seule que l’homme se les approprie, et cette foi même est une grâce encore.

Cette interprétation littérale et absolue de certains principes communs à tous les chrétiens constitue la doctrine de la justification selon les protestans, ou du moins celle dont se rapprochent toutes les confessions de foi protestantes. Je ne prétends pas l’exprimer ici avec une exactitude rigoureuse, mais en donner seulement une idée. J’avouerai qu’elle ne paraît pas absolument contraire à l’esprit du christianisme, et qu’elle semble ressortir des termes des épîtres de saint Paul. S’il n’y avait certains versets de l’épître de saint Jacques, j’oserais ajouter qu’aucun texte de l’Écriture ne la contredit formellement.

Cependant tous nos catéchismes nous apprennent que la foi sans les œuvres est une foi morte, qu’après la foi et avec la foi les œuvres servent au salut. L’Évangile, dans son divin récit, ne tend nullement à rabaisser le prix des bonnes actions et des bons sentimens. Aussi l’église catholique se garde-t-elle d’une interprétation ultra-littérale qui fait une sorte de violence à la conscience humaine. Elle ne refuse pas toute valeur à la vertu, bien entendu dans les conditions de la foi. L’interprétation protestante, celle du moins de Luther et de Calvin, peut avoir des textes pour elle. Elle s’appuie de quelques passages de saint Augustin ; elle est, ou peu s’en faut, augustinienne, du moins est-elle bien voisine des idées du jansénisme, qui lui aussi invoque saint Augustin, et le jansénisme jouit d’une grande autorité dans les lettres françaises. Cependant la doctrine de la justification gratuite, portée à cette extrémité, demeure incompatible avec trois idées fondamentales de notre raison, qu’il est difficile d’appeler des illusions : d’abord notre idée du mérite et du démérite, puis notre idée de la justice de Dieu, enfin notre idée du libre arbitre. C’est déjà, dans l’ordre de la nature, une certaine difficulté que d’accorder la prescience divine avec le libre arbitre. Cette difficulté, je trouve qu’on l’exagère, mais je ne saurais contester qu’elle existe. Dans l’ordre de la foi, la doctrine de la grâce reproduit cette difficulté, et assurément ne l’atténue pas ; les plus grands théologiens s’y sont trouvés embarrassés. Seulement la doctrine protestante aggrave la difficulté au point de la rendre accablante. Il se peut qu’elle soit