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de la cour de Rome excitaient chez les premiers des ressentimens et des défiances dont s’aidaient les seconds. Malgré l’indépendance de leurs sentimens religieux, ceux-ci étaient disposés à prendre le prince pour arbitre entre eux et leurs contradicteurs. Ils espéraient de sa neutralité plus de justice ou plus de modération, et tendaient à soumettre à la loi civile les questions organiques de l’église. Ils favorisaient donc la marche de la société vers la sécularisation universelle. Demander la tolérance, c’était au fond reconnaître au gouvernement une attribution de plus et le placer au-dessus des cultes ; c’était lui accorder tout ce que lui contestait l’église. Leurs idées sur la pénitence réduisaient à peu de chose ce pouvoir des clés, ce pouvoir de lier et de délier, sur lequel la papauté avait jadis fondé le rêve de sa monarchie universelle. En même temps, la rupture de leurs liens avec Rome, leur mépris des traditions, leur disposition à concevoir le magistrat comme chargé de la police entre toutes les sectes, le besoin de s’entendre, de se concerter, de se réunir, l’inquisition portée sur les titres d’une autorité dès longtemps établie, la guerre allumée entre la conscience et la force, tout devait faire des réformateurs religieux les précurseurs des réformateurs politiques. Quiconque réclame un droit est libéral en cela.

On voit donc comment, par une conséquence imprévue, mais naturelle, du dogme de la justification par la foi, les protestans ont pu être amenés à transformer dans l’ordre religieux presque tous les dogmes sur lesquels sont fondés les sacremens, -à détruire dans l’ordre ecclésiastique toute autorité traditionnelle en changeant la constitution de l’église visible, — à encourager dans l’ordre philosophique l’esprit de la littérature moderne et l’émancipation des sciences et des opinions, — enfin, dans l’ordre politique, à favoriser l’indépendance des gouvernans, la nationalité des institutions religieuses, le développement du droit commun, l’avènement futur de la liberté civile. Toutes ces conséquences pouvaient résulter de l’adoption du principe dogmatique de la réformation, et elles ont été effectivement manifestées par les événemens. Le raisonnement les indique et l’histoire les confirme.


III

Ulrich de Hütten, ce guerrier spirituel qui devança la réforme par ses philippiques licencieuses contre la papauté, avait raison de s’écrier à l’aspect du mouvement universel : « O siècle ! les études fleurissent, les esprits se réveillent : c’est une joie que de vivre. » Le commencement du XVIe siècle dut être pour les esprits de cette trempe une de ces époques privilégiées où la pensée, sentant sa force,