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historien, suivi en cela par l’abbé Fleury ou plutôt par son continuateur. L’Histoire des Variations débute par cette remarquable phrase : « Il y avait plusieurs siècles qu’on désirait la réformation de la discipline ecclésiastique. » C’est d’un seul mot donner raison, non assurément au luthéranisme, mais au principe d’une certaine réforme.

Les Bossuet de notre temps ne font plus de ces aveux. Ouvrez l’histoire de l’église que l’on recommande aujourd’hui ; le même récit commence par ces mois dans M. l’abbé Rohrbacher : « En 1517, l’église de Dieu se voyait dans une position bien mémorable ;… » et ces mots sont suivis du tableau le plus brillant de l’état de l’église à cette époque, en sorte qu’elle aurait chancelé au moment même de sa perfection. Aussi le même écrivain, qu’une grande partie du clergé préfère maintenant à Fleury, et, j’en ai peur, à Bossuet, n’explique-t-il pas comme ce dernier la naissance de la réforme : « Sous ce rapport, dit-il, l’Histoire des Variations est à rectifier. » On sait que M. Rohrbacher est l’auteur d’une Histoire universelle de l’Église, consacrée à la glorification de l’infaillibilité pontificale. Il ne concède rien sur ce point, excepté quand il voit le pape Adrien VI avouer à la diète de Nuremberg la corruption de la cour de Rome ; il ne lui reconnaît d’autre tort que de confesser des torts. D’ailleurs point d’excès, point d’abus, point de réforme. Il soutient intrépidement ces doctrines absolues d’autorité si bien venues aujourd’hui et toujours d’un si funeste présage pour les causes spirituelles qu’elles défendent. Son immense ouvrage, composé avec une célérité qui ressemble à l’improvisation, est important, comme profession de foi d’une école qu’on dit près d’être dominante ; mais le système de cet historien ne permet de rapporter la réformation qu’à l’inspiration directe du démon, et, suivant M. Rohrbacher, Luther n’a cru, dans son imagination germanique, voir si souvent Satan auprès de lui que parce que Satan l’obsédait en effet, et le dominait dans les momens mêmes où il ne se laissait plus apercevoir. Dans ce système, le protestantisme serait l’œuvre gratuite et spontanée de l’esprit du mal. Il faut des explications pour les intelligences de toutes les tailles[1].

Les jugemens divers que nous avons rapportés sur l’origine de la réformation nous donnent deux points de vue principaux, dont aucun ne doit être écarté. Si l’on remonte, en suivant M. Merle d’Aubigné, aux premiers enseignemens de Luther et de Mélanchton en Saxe, de Zwingle et d’Ecolampade en Suisse, de Lefèvre et de Farel en France, même de Bilney et de Latimer en Angleterre, on trouve une conception dogmatique passée à l’état de croyance religieuse : c’est la doctrine

  1. Histoire universelle de l’Église catholique, t. XXIII, 1. LXXXIV. p. 3 et 7.