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absolue du salut gratuit conduisant à une certaine interprétation de l’Écriture, doctrine qui ne pouvait s’accréditer sans modifier la religion même et l’église, en ébranlant la tradition et la constitution catholique. Supposé que la réformation n’eût été que cela, ou fût venue dans un temps où elle n’aurait pu être autre chose, l’événement purement religieux n’eût pas laissé de bien grands résultats ; il y aurait eu parmi les hommes une doctrine, une secte de plus, peut-être étouffée par la force et usée par le temps, ou subsistant obscurément sur quelques points de la terre, comme jadis les Vaudois ou les Lollards, comme les églises jansénistes qu’on voit encore en Hollande. Si au contraire le mouvement du XVIe siècle s’était réduit à une agression contre le régime ecclésiastique motivée par des abus, provoquée par de justes ressentimens, secondée par la renaissance des sciences et des lettres, une partie des conséquences sociales et politiques de la réforme se serait encore réalisée ; l’église romaine aurait même perdu quelque chose de sa puissance et retouché quelques-unes de ses institutions, mais il n’y aurait pas d’églises réformées, et le protestantisme ne serait pas aujourd’hui une religion.


IV

C’est du moment où Luther s’éleva contre les indulgences que la réforme, cessant d’être une affaire de pure spiritualité, devint ce qu’on peut appeler une chose du siècle. La doctrine se fit événement. Le feu prit de proche en proche à toutes ces mines que forment les mécontentemens accumulés sous la pression des pouvoirs excessifs. Les idées et les ressentimens, les lumières et les liassions, la foi et la moquerie, l’esprit et la colère, tout ce qui avait été blessé, indigné, étouffé pour le bien comme pour le mal, éclata presque en même temps, et l’explosion fut irrésistible. Le monde prit l’aspect révolutionnaire.

Ce dernier mol était inconnu de Bossuet ; mais il comprenait parfaitement la chose, et il la peint de main de maître. Seulement il ne faut pas lui demander de faire aux révolutions leur part légitime. En toutes choses, Bossuet est un pur conservateur. Il est de ceux qui aiment et défendent admirablement l’ordre établi quand il est bon, et qui, lorsqu’il ne l’est pas, le défendent encore parce qu’il est l’ordre et qu’il est établi. Telle fut sa constante politique, et il l’applique avec d’autant plus d’empressement à l’église, que l’église est pour lui l’ordre suprême. N’espérons donc pas désormais qu’il ménage beaucoup Luther, ni même qu’il s’abaisse à le pleinement comprendre. Le peu de mots que nous avons cités de son Histoire