Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant il protestait encore contre toute idée de séparation, il consentait même à laisser tomber la dispute, pourvu qu’oïl ne la relevât pas ; mais l’empire de ses idées s’était déjà trop étendu pour que son silence rétablît la paix. De toutes parts, on s’élevait pour ou contre lui. Une dispute publique, provoquée par ses adversaires, eut lieu à Leipzig, et là, entre docteurs et la dialectique aidant, les opinions se déployèrent avec plus de liberté. Comme il arrive souvent, le débat amena chaque parti à se prononcer avec plus de netteté et de hardiesse, et donna au réformateur lui-même une conscience plus distincte de la portée de ses principes et de la grandeur de son entreprise. On dit que de ce jour il se sentit dans son cœur affranchi de l’obédience romaine.

Les conséquences de la réforme se développent rapidement. Des points de discipline, comme le célibat des prêtres, sont débattus, et ces sortes d’innovations touchent plus la foule que les plus grandes témérités dogmatiques. Le saint-siège sent qu’il ne peut se taire plus longtemps, et le 15 juin 1520 une bulle célèbre ordonne de brûler les écrits de Luther ; s’il ne les brûle lui-même, elle le condamne comme hérétique, ainsi que ses adhérens, avec ordre de saisir leurs personnes et de les conduire à Rome. Ce coup d’autorité agite toute l’Allemagne. Le bûcher s’élève dans plusieurs villes pour consumer les œuvres de l’hérésie, et semble menacer les hérétiques. Quelques mesures de police et de répression annoncent que le pouvoir se réveille, et le nouvel empereur Charles-Quint se montre disposé à soutenir l’église orthodoxe. Néanmoins le 10 décembre on dresse près d’une porte de Wittemberg, en présence de l’université de cette ville, un échafaud chargé d’écrits publiés en faveur de Rome ; un maître ès-arts y met le feu, et Luther jette de sa main la bulle du pape dans les flammes. Il soutient cet acte d’audace par des écrits audacieux. Désormais la révolte contre Rome est ouvertement prêchée. Elle se propage dans tous les rangs, et quand le 28 janvier 1521 Charles-Quint réunit à Worms la première diète de l’empire qu’il ait présidée, il peut voir qu’il n’est plus dans le royaume de Ferdinand le Catholique, et que la politique doit compter avec ce qui est tout autre chose qu’une rébellion.

Le tableau de la diète de Worms, dans l’ouvrage de M. Merle d’Aubigné, forme, je crois, avec le récit de celle d’Augsbourg, les deux plus beaux morceaux de son histoire. Tout y est peint vivement et clairement expliqué. Le récit est dramatique, et cependant l’auteur, en racontant, garde une mesure et une justesse d’appréciation auxquelles on voudrait qu’il ne manquât jamais. Nous renonçons à donner même une courte analyse des débats de ces congrès d’une nouvelle sorte, où s’agitaient les destinées de l’Europe chrétienne.