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la jeune fille vers les sérieuses idées dont la tradition n’avait pas eu le temps de s’altérer. Au lit de mort de sa mère, elle recueillit d’elle cet héritage de résignation qui est l’arme des martyrs. Cette robe de deuil, jetée à quinze ans sur sa jeunesse, fut un vêtement de virilité. Ce fut alors qu’elle se mit à l’œuvre pour acquérir une science qui l’aidât un jour à mettre à la place du million échappé à son père ce pain quotidien qui fait la sûreté de la vie, ce tranquille repos des derniers jours qui fait le calme de la mort. Pendant plusieurs années et sans relâche, sinon sans fatigue, elle avait fait chaque jour un pas de plus vers son but, restreignant sa vie dans un cercle étroit d’habitudes et d’idées uniformes, faisant le jour ce qu’elle avait fait la veille, ce qu’elle savait devoir faire le lendemain, modifiant la vivacité de sa nature pour la soumettre aux exigences de l’étude, qui veut l’attention, supprimant de sa vie tout ce qui n’était pas une nécessité, non pas seulement nécessité d’usage, mais loi impérieuse, se refusant toute distraction, même celle de la pensée, quand les pensées ne se présentaient point à son esprit frappées à l’effigie de l’ambition qui lui servait de mobile dans un travail au-dessus de son âge, au-dessus de ses forces quelquefois.

Telle avait été Hélène, telle elle était encore au moment où pour la première fois elle avait rencontré Antoine. Ces détails étaient nécessaires pour faire comprendre la nature de son trouble. Après l’avoir constaté, elle en recherchait les causes, et quelles que fussent ses hésitations, quelle que fût même son ignorance, elle n’était point telle que ses recherches fussent vaines. Elle finit par se l’avouer, cette sympathie encore anonyme, à laquelle elle cherchait un nom qui ne fût pas le seul véritable, tant elle avait peur que ce nom l’effrayât, tant elle craignait que ce nom, prononcé seulement par elle-même à elle-même, fût une sommation de renoncer au sentiment qu’il viendrait baptiser ! — Ah! pourquoi avait-elle rencontré Antoine encore une fois ? Que venait-il faire là où elle était ? Était-ce prémédité ? Dans la réserve de ses relations avec lui, lui était-il donc échappé quelque propos de nature à lui faire supposer qu’elle viendrait aux phares ce soir-là ? — Elle fouillait ses souvenirs, et ne trouvait rien qui pût justifier ce soupçon. C’était donc le hasard, le hasard, mot des athées; elle disait Providence ordinairement. Cependant la suite des réflexions qu’elle faisait à propos de cette rencontre lui remit en mémoire cet album qu’elle n’avait pas voulu rendre à Antoine en le retrouvant sur le pont de l’Atlas. Elle se rappela aussi les mots qui l’avaient arrêtée dans la restitution de cet objet. Elle eut un moment l’idée de le lui remettre, mais que penserait-il de cette restitution tardive ? Un autre motif lui faisait maintenant désirer de conserver l’album. Elle y avait découvert cette