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publicistes et poètes, un Jahn, un Maurice Arndt, un Joseph Goerres, un Niebuhr : relever la conscience nationale et sauver ce peuple tout près de disparaître au fond de l’abîme. Or on rencontrait aussi, chose étrange, de brillans et hardis rêveurs qui bravaient une réalité ennemie en se plongeant dans le royaume des songes. Cette école romantique, formée déjà vers la fin du XVIIIe siècle, ne se dispersa pas sous le canon d’Auerstaedt et d’Iéna. Tous les amis de M. Varnhagen appartenaient à ce groupe, et, réunis bientôt à Berlin, ils renouèrent le fil d’or de leurs rêves, comme s’il y avait pour la jeunesse une patrie idéale où les bruits et les gémissemens de ce monde n’arrivent pas. Il faut connaître les bizarreries de l’esprit germanique, il faut se rappeler toutes les excuses que peut alléguer le romantisme de Berlin au commencement de ce siècle, si l’on veut comprendre les premiers écrits de M. Varnhagen d’Ense. C’est le moment où il publie avec ses amis, avec Chamisso, avec Neumann, avec Bernhardy et Louis Robert, un recueil intitulé Récits et jeux, et un roman, les Entreprises et les mésaventures de Charles, où la verve humoristique et la fantasque imagination de l’école romantique se donnent gaiement carrière.

M. Varnhagen d’Ense n’est pas un romantique à la manière de Tieck et de Novalis ; son originalité, à ce qu’il semble, est d’avoir su traverser d’un pied discret les principales écoles de son temps. Esprit sympathique et circonspect, s’il s’engage dans une école, il se garde bien de s’y livrer tout entier, et si bientôt il se retire, ce sera sans briser ses liens. De nombreux partis divisent la littérature de son pays ; il les a tous connus et pratiqués, gardant avec tous cette réserve affectueuse qui dès sa jeunesse lui assignait une place à part. Les romantiques sont les adversaires de Goethe ; M. Varnhagen a été un des collaborateurs de l’école romantique, et il sera au premier rang parmi les amis dévoués de l’auteur de Faust. Les romantiques se réfugient dans le monde des rêveries fantasques, tandis que les hommes d’action s’appliquent à réveiller le patriotisme allemand. Voyez M. Varnhagen : il vient de publier des romans et des contes avec les jeunes coryphées du romantisme ; aujourd’hui, à peine âgé de vingt-quatre ans, il demande un brevet d’officier dans l’armée autrichienne et fait ses premières armes contre nous dans la campagne de 1809.

Blessé à Wagram et fait prisonnier de guerre, M. Varnhagen avait été transporté à Vienne, où les Français venaient d’entrer en maîtres. Il y passa plusieurs mois prisonnier sur parole, et ce temps ne fut pas perdu pour l’éducation de son esprit. Au milieu des douloureuses préoccupations du patriotisme, le jeune officier gardait l’originalité de ses goûts et le culte des loisirs intelligens. Ces Français