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est l’œuvre de la science, appauvrit l’imagination, qu’est un don de Dieu. Dans sa justice et dans sa bonté, il ne s’offense pas sans doute d’une superstition qui met les clés de son paradis entre les mains d’une morte ensevelie dans un serment de fidélité. Cette superstition est le naïf écho d’un siècle pieux et fécond en symboles, qui, en mêlant Dieu aux choses terrestres, semblait avoir pour but de le rapprocher plus directement de sa créature. L’église elle-même encourageait ces ti-aditions. Quand un endroit était réputé dangereux pour le passage des voyageurs, on y plantait une croix, qui effrayait le malfaiteur et rassurait le piéton. Aujourd’hui on dresse un réverbère qui éclaire le meurtrier.

Hélène sourit à ce rapprochement. — Vous riez, mademoiselle, dit Antoine, c’est pourtant un exemple pris dans la vérité. Cette croix protectrice du chemin était une superstition cependant, et on ne peut nier qu’elle exerçât une influence salutaire. Tel récit où un esprit fort ne verra qu’une aventure apocryphe est pour les âmes simples une consolation précieuse, et mérite à ce titre notre respect. Ma grand’mère, qui est une chrétienne du moyen âge, croit à certaines légendes de son pays comme à l’Évangile. De même les gens de La Meilleraye continueront à s’inscrire sur la tombe de Rose Lacroix, et dans leur naïveté trouveront vraisemblable qu’une fille qui a souffert ici-bas pour avoir aimé ait quelque crédit auprès de celui qui, en permettant les maux humains comme autant d’épreuves, a créé l’amour, qui amène l’oubli de ces maux, et a permis la mort, même volontaire, comme un refuge contre eux, quand le poids en était trop lourd,

Antoine avait parlé avec une certaine animation à laquelle s’ajoutait une éloquence d’accent dont Hélène avait été frappée. Ce qu’il disait heurtait sans doute des idées dont les racines étaient profondes dans son esprit. Cette absolution du suicide l’avait choquée, elle catholique fervente, à genoux devant le dogme, et cependant elle avait éprouvé quelque plaisir à être contredite avec cette apparence de passion. Depuis qu’il avait pris la tournure d’une discussion, cet entretien l’effrayait moins. Elle se sentait même disposée à le prolonger. La familiarité de langage et la franchise de pensées dont son compagnon faisait preuve lui permettaient d’ailleurs de l’observer sous des aspects nouveaux pour elle. — Vous êtes superstitieux, lui dit-elle.

— Sans la partager, répondit Antoine, j’ai le respect de toute croyance qui a une source sincère, qui séduit mon esprit par l’invention ou charme mon imagination par la poésie. C’est pourquoi vous m’avez vu écrire mon nom sur la tombe de Rose. Vous me demandiez tout à l’heure si je croyais aux revenans. Je vous ai répondu que non, et malheureusement je n’y puis croire. Si j’avais cette