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qui éclaire une partie mal connue de l’histoire du XVIIIe siècle, a tout l’attrait d’une découverte.

Fils d’un gentilhomme westphalien qui était venu chercher fortune en France à l’époque où la princesse palatine, seconde femme de Monsieur, frère de Louis XIV, pouvait tendre une main secourable à ses compatriotes, Théodore-Etienne, baron de Neuhof, était né aux environs de Metz dans les dernières années du XVIIe siècle. Après la mort prématurée de son père, il est attaché, comme page, au service de la duchesse d’Orléans, et bientôt, enivré de la lecture de Plutarque, en proie à cette sorte d’ambition fiévreuse qui veut du premier coup le pouvoir et la renommée, il va se jeter à corps perdu dans le tourbillon des hasards. À peine pourvu d’une lieutenance au régiment d’Alsace, il offre son épée à Charles XII. Compagnon de guerre du héros, il est son ambassadeur en Espagne auprès du cardinal Alberoni et prend part à la vaste conspiration ourdie par le comte de Goertz pour l’abaissement de l’Angleterre. La conspiration échoue ; Charles XII est tué à Frédéricshall, et le comte de Goertz est décapité à Stockholm. Théodore retourne auprès d’Alberoni et se marie avec une duchesse anglaise dont l’influence à la cour d’Espagne devait venir en aide à sa fortune ; mais la chute du puissant ministre renverse tout son échafaudage, et, menacé par je ne sais quelles intrigues de cour, il quitte précipitamment l’Espagne, laissant à Madrid sa femme sur le point d’accoucher. Le voilà à Paris, où un autre aventurier exerçait sur la pensée publique d’irrésistibles séductions. Il y a des affinités morales dont l’influence est immédiate : Théodore est bientôt l’intime ami de Law, et enveloppé dans sa ruine, poursuivi à outrance par des créanciers irrités, il sauve sa liberté à grand’peine, quitte furtivement la France, parcourt l’Angleterre, la Hollande, passe de là en Orient pour quelque confuse entreprise en société avec des Juifs d’Amsterdam, et reparaît ensuite à Florence, investi, on ne sait comment, de fonctions diplomatiques au nom de l’empereur d’Allemagne, Charles VI.

C’est de Florence que le baron de Neuhof commença à donner une attention particulière aux révolutions qui agitaient la Corse. Soumis depuis longtemps aux Génois, les Corses venaient de se révolter, et, au milieu des alternatives de la lutte, ils avaient eu recours plusieurs fois à l’empereur d’Allemagne. Théodore eut l’occasion de leur rendre quelques services. Honoré comme un bienfaiteur par les principaux chefs de l’insurrection, il s’applique surtout à relever leur courage. Au lieu de changer de maîtres, pourquoi ne fonderaient-ils pas leur indépendance ? Quelle contrée que la Corse ! quel royaume ! Comment ne se trouve-t-il pas un homme qui puisse réunir tous les partis dans le sentiment de la liberté commune ? — Vous serez cet homme, lui répondent les Corses,