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à ce rôle de patron qu’il aurait pu rendre si efficace : Mme Rachel Varnhagen d’Ense mourut le 7 mars 1833.

C’est alors que, M. Varnhagen se réfugia dans le culte des souvenirs, et qu’à ces doctes études sur les deux derniers siècles succédèrent tant de biographies, tant de portraits, tant de scènes charmantes ou dramatiques empruntées au tableau même de sa vie, de 1803 à 1814, pendant douze années de courses errantes et d’épreuves de toute sorte, il avait été fidèle à la pensée de Rachel ; Rachel morte, il remonta avec elle le cours des choses passées, et, guidé par ses regrets comme il l’avait été par son amour, il revit dans son imagination ce drame de vingt-cinq ans dont il avait traversé de si curieux épisodes. Son premier travail fut pour Rachel, et ce travail pieux n’intéresse pas seulement une douleur domestique, il appartient à l’histoire littéraire. Rachel, tel est le titre même de l’ouvrage, et l’auteur publie sous ce nom, avec une biographie touchante, toute une série de lettres écrites par la morte chérie, lettres familières où se révèlent la grâce, la hardiesse, l’originalité brillante de l’esprit qui charmait Frédéric de Gentz et Guillaume de Humboldt. Un autre ouvrage, intitulé Galerie de Poitrails empruntés à la société et à la correspondance de Rachel, est le complément du premier. Ces portraits, ébauchés en quelques coups de crayon, ce sont ceux de Frédéric Schlegel, du prince de Ligne, d’Adam Müller, d’OElsner, du comte de Tilly, de Frédéric de Gentz, du prince Louis-Ferdinand de Prusse, de plusieurs autres personnages moins connus, bien qu’appartenant aussi à l’élite intellectuelle de l’Europe, et surtout de deux femmes qui portent des noms célèbres, l’une fille d’un grand Israélite platonicien, l’autre femme d’un homme d’état et d’un écrivain illustre, Henriette Mendelssohn et Caroline de Humboldt. On voit à côté de ces fines esquisses les lettres des correspondans de Rachel, on voit le prince de Ligue lui adresser en français de jolies fables et des billets spirituellement folâtres ; on voit Caroline de Humboldt lui écrire de Paris et de Vienne de charmans détails de famille où brille l’âme heureuse d’une jeune mère. Le comte de Tilly, qui veut représenter les brillans émigrés dans ce tournoi littéraire, aiguise des complimens entortillés, mais il est visible qu’il doute de lui-même ; OElsner est grave, Adam Müller est pieux, Frédéric de Gentz est enthousiaste ; Frédéric Schlegel l’entretient de ses ouvrages et des projets de son imagination ; le prince Louis-Ferdinand dépose dans ce cœur fidèle les confidences de ses douleurs ; tous l’appellent une âme, un esprit, un pur esprit de lumière qui charme les heureux et rend l’espoir aux désolés.

C’était encore pour M. Varnhagen un moyen sûr de retrouver Rachel que de rédiger ses propres Mémoires. Il en publia quatre volumes