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croire que le cabinet de Vienne se fait peu d’illusions sur le sens de cette réponse, et c’est parce qu’il lui reste peu de doutes qu’il a multiplié ses armemens dans ces derniers temps. Par le fait, l’Autriche se trouvera en mesure d’agir au moment où les armées de la France et de l’Angleterre paraîtront de leur côté sur le Danube. L’empereur François-Joseph et le roi de Prusse ont voulu sans doute donner à leur alliance un caractère plus personnel par l’entrevue récente qu’ils ont eue à Tetschen en Bohême. La rencontre des deux souverains n’avait probablement pour but que de se concerter au moment où ils vont être obligés de prendre une résolution. Quant à la pensée même des deux principales puissances allemandes sur les bases de la paix définitive avec la Russie, on pourrait la trouver peut-être dans la communication qu’elles ont adressée à leurs représentans près la diète de Francfort. L’Autriche et la Prusse posent dans ce document une des conditions de la paix : c’est la garantie de la liberté des relations commerciales avec l’Orient par le Danube. On n’ignore point en effet que depuis quelques années les restrictions de toute sorte dont la Russie embarrassait la navigation du bas Danube rendaient le commerce à peu près impossible. La liberté des communications par ce grand fleuve assurée, c’est là ce que l’Autriche et la Prusse proclament justement un des premiers intérêts de l’Allemagne. Il faut en conclure que leur politique ne se bornerait plus au rétablissement de l’état des choses avant la guerre. On voit donc par combien de points les puissances allemandes se rapprochent de l’Angleterre et de la France. Comme celles-ci, en assurant l’indépendance de l’empire ottoman, elles veulent asseoir une paix solide sur la garantie des intérêts européens. Est-ce là, en vérité, ce que les partisans de l’alliance russe appellent encore une politique malheureuse, une politique qui livre l’Allemagne à la France ? — Les intérêts allemands sont très distincts des intérêts français dans la grande question qui se débat, nous écrivait à peu près récemment un homme politique d’outre-Rhin ; nous avons plus à craindre de la prépondérance française que de la prépondérance russe. Pour l’Autriche en particulier, la question se réduisait à se demander si la Turquie peut être sauvée, et, la Turquie ne pouvant être sauvée, comment elle devait faire pour s’assurer la part qui lui revient dans la succession de cet empire. La réponse n’était pas douteuse. Ce n’est qu’avec l’appui de la Russie, de concert avec la Russie, que l’Autriche pouvait s’assurer une part légitime. Elle ne l’a pas voulu. Le sentiment auquel elle a obéi en s’unissant à la coalition contre la Russie, c’est uniquement la peur de la France et de la révolution !

Il y aurait beaucoup à dire, on le comprend, sur ces appréciations, et d’abord l’honorable personnage nous paraît se faire une singulière illusion au sujet de la possibilité d’un accord entre la Russie et l’Autriche sur le partage de la Turquie, dont la succession n’est point d’ailleurs ouverte. La question est de savoir au contraire comment cet accord pourrait s’établir, les intérêts des deux empires étant opposés. Aussi l’intégrité de l’empire ottoman a-t-elle été toujours un des principes de la politique autrichienne. Ce qui nous semble surtout injuste, c’est ce qu’on nous dit de l’Autriche et de la France. Après tout, que demande la France à l’Allemagne ? Elle ne demande point autre chose que de défendre un intérêt vital pour elle. Elle lui demande d’avoir