Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’était trouvé dans les positions les plus hautes, et toujours il en était sorti avec ce lustre que donnent une probité intacte et une fidélité simple à ses opinions. Retiré de la vie politique et de toute fonction active depuis deux ans, il s’était réfugié dans des travaux utiles, où s’exerçait son intelligence sérieuse et pratique. Cet esprit si habile à étudier les questions administratives savait avoir au besoin du reste toute la souplesse d’une observation pénétrante et ingénieuse. On en a la preuve dans de piquantes esquisses de mœurs politiques qui ont paru ici même, sans que la modestie de l’auteur consentit d’abord à les signer de son nom. M. Vivien appartenait à une génération devant laquelle s’ouvrait un horizon immense, et qui y marchait avec cet entraînement que communique une ardente conviction politique, sans savoir encore ce qui pouvait se cacher derrière cet horizon, sans se demander même si ce régime qui avait ses préférences pouvait finir.

S’il est un résultat amer et triste des révolutions qui viennent secouer périodiquement un pays, c’est qu’elles éteignent ce feu, ces convictions qui sont le ressort tout-puissant des âmes ; elles troublent bien des notions et jettent l’incertitude dans bien des esprits par le spectacle de tous les succès et de toutes les chutes. Il finit par se développer un certain scepticisme qui fait qu’on se plie à toutes les conditions. Ce qu’on adorait, on le brise ; ce qu’on répudiait, on est prêt à l’adorer. Les choses dont on avait le plus l’orgueil et le culte autrefois, on voudrait presque n’en plus voir vestige, comme si ce qui en reste encore était un reproche vivant. Lorsqu’une révolution est passée, réveillant cet amour du repos qui n’est jamais plus terrible que quand il renaît, il s’élève aussitôt un besoin universel de jeter d’abord à la mer le plus qu’on peut, puis de chercher les coupables de ces orages qu’on vient de traverser ; on les cherche partout, hors en soi-même, bien entendu. La presse s’est trouvée ainsi avoir à expier bien des péchés, non-seulement ceux qu’elle avait commis, mais encore ceux qui étaient l’œuvre de tout le monde. Un des plus ingénieux esprits de ce temps, M. Saint-Marc Girardin, le remarquait l’autre jour avec un piquant bon sens. Il défendait la presse contre une brochure qu’il soupçonnait à dessein peut-être d’origine allemande ; il la défendait contre l’Allemagne en se tournant du côté de la France et en lui disant : « C’est à vous que je parle, ma sœur… » Non, en vérité, ce n’est point la liberté de la presse qui tue les gouvernemens et la société ; la presse aurait beau se remplir d’orages révolutionnaires : si elle ne répondait à rien dans le pays, elle resterait sans écho et périrait dans l’abandon ; la presse n’aurait point multiplié les publications immorales, les fictions corruptrices, si au lieu d’un goût dépravé de lectures irritantes elle eût trouvé dans la société la discipline d’un goût sévère et d’un instinct moral vigoureux. Mais aussi il ne faudrait pas répondre à l’optimisme du pays, qui rejette tout sur la presse, par un autre genre d’optimisme qui rejetterait tout au nom de la presse sur le pays. Il y a surtout en France un point où se manifeste la responsabilité du journal et de l’écrivain, c’est celui où cesse ce qu’on pourrait appeler l’expression d’une opinion générale, et où commence cette action intellectuelle, ce prosélytisme qui ont toujours caractérisé la presse française. Ce que nous voulons dire, c’est que la presse ne crée point les élémens révolutionnaires dans un pays où ils n’existeraient point, mais elle peut leur com-