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le pense plus, pourquoi le redire ? S’il le pense encore, cela tendrait à donner de la sûreté de son goût une idée peu avantageuse, et diminuerait nécessairement le prix des éloges que M. Cuvillier-Fleury accorde à d’autres écrivains. Que conclure de ces diverses observations ? C’est que M. Cuvillier-Fleury peut être un critique fort sérieux ; seulement il lui manque ce quelque chose qui ne se donne pas, l’art de faire un livre avec des fragmens. Quoi qu’il en soit, dans le long exercice de la critique, l’auteur de Voyages et Voyageurs a sans doute appris à peu s’émouvoir des remarques dont ses livres peuvent être l’objet ; mais est-il bien sûr que les critiques eux-mêmes ne ressemblent pas sur ce point aux poètes ? Ne leur arrive-t-il pas parfois d’ignorer cet art suprême qui consiste à supporter la contradiction avec esprit ?

Si nous revenons maintenant à la politique, au milieu des changemens accomplis depuis quelques années, quels sont en Europe les pays où les réactions se sont fait le moins sentir, où elles étaient le moins possibles ? Ce sont ceux qui n’ont point cédé en 1848 à un vertige de république, résistant à l’exemple parti de France. N’étant point sortis de l’ordre, ils n’ont pas eu à y rentrer ; n’ayant point cessé d’être conservateurs, ils n’ont point eu à abdiquer l’esprit libéral qui animait leurs institutions ; ils sont restés ce qu’ils étaient, tandis qu’autour d’eux tout changeait, — et la Belgique s’est trouvée tout à coup devenir l’un des plus anciens états constitutionnels du continent. Dans ses institutions mêmes, le peuple belge a trouvé sa sauvegarde et la garantie d’un remarquable travail d’accroissement. Depuis quelques années en effet, tous les efforts de la Belgique sont tournés vers les progrès réels, effectifs ; les agitations, jeu naturel des institutions les plus larges, n’y sont que d’un jour, et tiennent à des circonstances exceptionnelles, comme aujourd’hui à l’occasion du renouvellement de la chambre des représentans.

En ce moment même se termine la crise électorale que vient de traverser la Belgique. On connaît les divisions tranchées des partis belges. Le parti libéral et le parti catholique se sont naturellement retrouvés en présence à Bruxelles, comme à Anvers, comme à Liège. Si les fractions exclusives des partis se sont donné carrière par le choix de leurs candidats, sur plusieurs points aussi on a vu percer une tendance à la conciliation par le maintien, sur les listes électorales, des représentans sortans, et peut-être les listes mixtes étaient-elles dans le fond celles qui répondaient le mieux à l’opinion générale. C’est à Bruxelles que se livre le combat électoral le plus vif. Là comme partout, il y a l’antagonisme des partis politiques ; mais cette fois la vivacité de la lutte s’accroît d’une circonstance toute particulière, toute locale. Il y a peu de jours encore, la chambre des représentans avait à discuter une loi qui avait pour but d’annexer les faubourgs de Bruxelles à la ville elle-même, comme cela avait été déjà fait pour le quartier Léopold. Cette loi avait malheureusement pour résultat de soulever les plus fortes répulsions dans les faubourgs, qui jouissent de l’avantage de leur situation sans en supporter les charges. L’instinct des libertés communales a été habilement surexcité, et finalement la loi d’annexion a été repoussée par la chambre après une discussion où les représentans de Bruxelles et des faubourgs se sont trouvés naturellement divisés. Les élections survenant dans cet état d’irritation encore mal apaisé, le choix des candidats s’en est forcément ressenti ; il n’y a