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31 décembre 1660 à Mme de Sablé : « Tout le jansénisme du monde ne m’eust pas empeschée de vous aller voir, si j’eusse été plus long-temps ou plus libre à Paris. » Dans les premiers mois de l’année 1661, elle va déjà un peu plus loin : « Le vacarme qui se fait chez vous ne m’empeschera pas d’y aller; quand je n’aurois pas eu ce dessein, je le prendrois là-dessus. Je vous verrai donc mercredi, et nous parlerons de cette affaire et de mille autres choses. » En parlant de « cette affaire, » elle y prend goût, et quelque temps après elle exprime le désir de faire connaissance avec la mère Angélique, dont Mme de Sablé l’avait entretenue. Elle n’est pas encore passée du côté de Port-Royal, mais elle gémit de ses malheurs et voudrait les soulager. « Vraiment non, je n’ai point perdu la pensée d’aller demain disner chez vous, car outre l’envie que j’ai toujours de vous voir, j’ai encore celle de voir ces pauvres filles, c’est-à-dire la mère Angélique, avec laquelle cette disgrâce m’a déterminée de faire connoissance. » Cette entrevue avec la mère Angélique, vieille et mourante, mais qui avait conservé toute sa foi et toute son intrépidité[1], acheva de séduire Mme de Longueville. Il ne faut pas oublier qu’avec Mme de Sablé Port-Royal avait encore une autre amie auprès d’elle, une personne qui, l’ayant suivie dans toutes les vicissitudes de sa vie et l’ayant même précédée dans la piété et dans le repentir, avait aussi quelque puissance sur son cœur.

Mlle de Vertus descendait par son père, le comte de Vertus, de la maison de Bretagne, entrée par la reine Anne, femme de Louis XII, dans la noblesse et dans la monarchie française. Sa mère, fille d’un serviteur peu scrupuleux de Henri IV, Lavarenne-Fouquet, fit très grand bruit dans son temps par sa beauté, sa galanterie et ses folies<ref> Voyez Tallemant, t. III, p. 404 et suivantes. </<ref>. Mlle de Vertus avait plusieurs frères et bien des sœurs, dont l’aînée est la fameuse duchesse de Montbazon. Elle n’en avait pas l’éclatante beauté; mais, selon Tallemant, elle était la plus belle des autres sœurs. Sa mère ne lui donna rien, et ne s’étant pas faite

  1. Voyez Jacqueline Pascal, IVe série de nos ouvrages, t. II, p. 329 : « En généra), les femmes de Port-Royal se montrèrent plus décidées et plus courageuses que les hommes. La sœur d’Arnauld, la mère Angélique, accablée d’ans et d’infirmité, soutint le courage de la communauté éplorée. « Quoi! Dit-elle, je crois que l’on pleure ici ? Allez, mes enfans, qu’est-ce que cela ? N’avez-vous point de foi ? Et de quoi vous étonnez-vous ? Quoi ! les hommes se remuent; eh bien! ce sont des mouches qui volent et qui font un peu de bruit. Vous espérez en Dieu, et vous craignez quelque chose ! Croyez-moi, ne craignons que lui, et tout ira bien.» Des prières publiques et particulières furent instituées. On fit une neuvaine de processions de pénitens; la mère Angélique y porta la croix avec un maintien qui la faisait voir si anéantie en la présence de Dieu, que les religieuses ne purent retenir leurs larmes. Elle se trouva mal en rentrant dans le chœur, et ce fut là le commencement de la maladie dont elle mourut. »