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s’agenouilla auprès, retira son châle, le tordit en lien et commença à l’attacher au bout de corde. Elle fit un essai pour s’assurer de la solidité du nœud qu’elle venait de faire. Le châle et le bout de câble lui parurent soudés assez fortement pour supporter une violente traction. La minute n’était pas écoulée qu’elle s’entendit appeler par Antoine, qui avait perdu trois ou quatre pouces du terrain si péniblement conquis. Sa situation était encore plus critique qu’elle n’avait été : il sentait le bout de son pied dans le vide. Hélène courut au bord de la pente dangereuse et lui jeta le bout de son châle. Ce fut à peine si l’extrémité arriva à la portée de la main du jeune homme. Il s’en saisit pourtant. — Reposez-vous un moment, lui dit Hélène, et préparez-vous à prendre un élan. Ne risquez rien avant d’être sûr de votre force.

Antoine respira. — Regardez-moi, dit-il à la jeune fille.

Elle lui accorda ce regard qu’il demandait. Toute son âme y parut, torturée par une angoisse qu’elle s’efforçait de faire muette, mais qui allait éclater, si ce supplice se prolongeait encore. Antoine se sentit gagné par ce contagieux courage que donne le sang-froid qui nous assiste. Il tira légèrement d’abord à lui le châle, qui se tendit comme une corde raide, et commença à se hisser en pesant le moins possible sur le lien sauveur. Il regagna ainsi les quelques pouces perdus un moment auparavant; mais la tentative suprême, c’était le le mouvement ascensionnel qu’il devait faire en se suspendant à deux mains au châle d’Hélène. Il fallait en finir cependant. Depuis trois ou quatre minutes, tous les mouvemens d’Antoine avaient creusé dans la terre amollie une espèce de rigole qui rendait sa chute immédiate, si un point d’appui ou de retenue venait à lui manquer, ne fût-ce qu’une seconde. Il s’enleva d’un pied d’abord, et, dangereusement arc-bouté sur la pointe de l’autre, il se hissa péniblement. Tout à coup, au moment où la suspension allait devenir complète, Hélène entendit le châle qui se déchirait. — Reprenez pied ! s’écria-t-elle.

— La terre fuit ! répondit Antoine d’une voix étranglée.

— Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! fit la jeune fille en joignant les mains avec terreur.

Elle s’approcha du bord de la falaise, s’y agenouilla, et parut ce pencher. — Non, non, cria Antoine. Prenez garde.

— Et vous, répondit-elle, prenez ma main.

Et la main d’Hélène arriva à celle d’Antoine avant qu’il eût pu la retirer. — Je vous entraîne avec moi! lui dit-il.

Mais il sentait sa main serrée comme par un étau entre celle de la jeune fille, qui, se rejetant vivement en arrière, commença à l’attirer à lui. Antoine se sentit remonter légèrement, aidé par cette