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— Mon châle est déchiré, fit Hélène; mon père me demanderait des explications, il faut que ce qui est arrivé ici soit secret entre nous.

Elle s’approcha du bord de la falaise, ramassa une pierre, l’enveloppa dans son châle qu’elle jeta dans la mer. — Je dirai à mon père qu’un coup de vent l’a emporté de dessus mes épaules. Ce sera la première fois que je mentirai. Je lui dirais bien tout, continua-t-elle comme si elle se fût parlé à elle-même, mais il ne me comprendrait pas. Et moi-même, est-ce que je comprends quelque chose à ce qui m’arrive ? Quelle journée ! quelle soirée! Qu’allez-vous penser de moi, demanda-t-elle brusquement en se retournant devant Antoine, et quel souvenir garderez-vous de cette Hélène qui agit et parle comme j’ai fait avec vous, hier encore un étranger ?

— Est-ce un regret ? demanda Antoine.

— Non, dit-elle en secouant la tête. Je vous ai aidé dans un péril autant par égoïsme que par dévouement. Ah ! vous avez couru un grand danger ! ajouta Hélène avec conviction.

— Je le sais, répondit-il sur le même ton, et vous avez presque risqué votre vie pour sauver la mienne, Hélène, chère Hélène!

Celle-ci tressaillit en s’entendant appeler avec cet accent de tendresse. Comme Antoine voulait lui prendre la main, elle lui fit remarquer que les siennes avaient été déchirées par les ronces et que le sang coulait encore. — On pourrait voir cela, dit-elle avec vivacité, et en être étonné. Oh ! vous devez souffrir ! fit-elle avec pitié.

— Je n’y pense pas, répondit Antoine.

— Si nous étions obligés de faire l’aveu de cet accident, reprit la jeune fille, quelle raison pourrions-nous donner pour expliquer les circonstances qui l’ont fait naître ? Il faut que cela reste secret entre nous; vous me promettez de n’en pas parler à votre ami ?

Ignorant où on pourrait trouver de l’eau dans le voisinage, Hélène indiqua à son compagnon la rosée qui rendait l’herbe humide sous son pied. Il y étancha ses légères blessures, dont la douleur consistait seulement en une cuisson un peu vive qui fut calmée par la fraîcheur de ce bain glacé. — Mais vous aussi, dit Antoine, vos mains doivent être tachées de sang : elles ont touché les miennes. — Il cueillit une touffe d’herbe mouillée et essuya les mains de la jeune fille. Ils furent interrompus dans ces soins, que leur inspirait la prévoyance, par un admirable accord de voix humaines qui s’éleva à quelque distance du lieu où ils se trouvaient. Les chants paraissaient se rapprocher. A une cinquantaine de pas en avant, ils aperçurent une masse confuse et mouvante formée par les chanteurs. — Allons écouter cette belle musique, dit Hélène. Voilà un prétexte pour expliquer notre absence : quand mon père nous rejoindra, nous dirons que nous écoutions les chanteurs.