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sentiers qui lui sont connus; il y cherche le vieux hêtre inspirateur sous lequel il avait eu sa vision, l’abat avec sa hache, en fabrique une gouslé, et la donne au rapsode aveugle de sa tribu, pour l’aider à chanter les braves qui ont rendu au peuple la liberté. Le gouslar commence son chant héroïque; mais il débute en invoquant la vila de la forêt, sans laquelle le héros n’eût pas songé à combattre pour l’affranchissement des siens. Il invoque la jeune et immortelle vila des aïeux qui a fait triompher la tribu, et qui seule a donné au héros l’idée de transformer le vieux hêtre en une gouslé sacrée qui perpétue sur la terre le culte des génies supérieurs. »


L’Illyrien des Alpes Stanko-Vraz a traité dans ses ballades plus d’un motif qui avait avant lui inspiré les gouslars. On peut comparer ces ballades avec les pièces plus ou moins analogues du recueil consacré par Vuk au gouslo. Parmi les petits poèmes de Stanko-Vraz, nous en choisissons un intitulé le Chasseur :


« Les chênes n’ont plus de feuilles; nos montagnes élèvent vers le ciel leurs tètes chauves comme des vieillards qui ont perdu leurs derniers cheveux. Le cor retentit dans les bois, et l’aboiement des chiens remplit les vallées et les champs. Tout entier au plaisir qui l’entraîne, un jeune chasseur passe à la course, poursuivant des chamois et des lièvres. — L’année suivante, au retour de l’automne, les montagnes dépouillées de feuillages invitent le jeune chasseur à se livrer encore aux mêmes plaisirs; mais ce n’est plus de la chasse qu’il est épris. Autour de lui tout est silence : son cor est suspendu poudreux à la muraille; ses chiens de chasse languissent à la chaîne. Il poursuit un meilleur gibier : il soupire pour l’amour d’une femme. »


Le chant populaire cité par Vuk, qui traite le même motif, regarde aussi la conquête d’un cœur de femme comme la meilleure chasse (naïdoliï lov) que l’homme puisse faire ici-bas.


« Je suis parti dès l’aurore pour aller chasser le cerf dans nos montagnes. Le soleil à son déclin commençait à jeter sur moi l’ombre des verts sapins. Voilà que j’ai trouvé, solitaire, couchée au pied d’un arbre, une belle jeune fille, la tête posée sur une gerbe de trèfle fraîchement coupée, avec deux blanches tourterelles dans son sein, et un petit cerf à ses pieds. Heureux de ma capture, j’ai passé là la nuit. A mon cheval j’ai donné pour souper la gerbe de trèfle, à mon faucon les deux tourterelles, à mes chiens le petit cerf, et j’ai gardé pour moi la jeune fille. »


Une autre piesna, recueillie par Vuk, nous montre, sous ce titre : l’Amour mutuel, une jeune fille lavant le linge de la famille dans le torrent rapide, où elle est à moitié plongée. Son amant qui passe, voyant se dessiner sur le sable du ruisseau ses pieds blancs comme la neige, soupire à cette vue, et lui demande si elle veut bien être à lui. « Oh ! répond-elle, quand je pourrai l’appartenir, ce jour-là je me laverai avec du lait pour être encore plus blanche, je me frotterai les joues avec de l’eau de rose pour les rendre encore plus