Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-Pétersbourg. La Russie avait rencontré un seul adversaire habile, actif, persévérant : c’était l’Autriche, ou pour mieux dire M. de Metternich; mais après avoir combattu, traversé, retardé même pendant plusieurs années la politique russe avec les ressources de la plus clairvoyante et de la plus adroite diplomatie, M. de Metternich, paralysé par son isolement, n’avait pu tirer l’épée pour défendre la Turquie contre l’invasion des Russes. L’empereur Nicolas fut donc maître en 1829 du sort de l’empire ottoman. Il le laissa vivre. Pourquoi ?

M. de Nesselrode en donnait la raison en 1830, dans un mémoire destiné à expliquer la politique du traité d’Andrinople et adressé au grand-duc Constantin : « Il ne tenait qu’à nos armées, disait M. de Nesselrode, de marcher sur Constantinople et de renverser l’empire turc. Aucune puissance ne s’y serait opposée, aucun danger immédiat ne nous aurait menacés, si nous avions porté le dernier coup à la monarchie ottomane en Europe; mais, dans l’opinion de l’empereur, cette monarchie, réduite à n’exister que sous la protection de la Russie et à n’écouter désormais que ses désirs, convenait mieux à nos intérêts politiques et commerciaux que toute combinaison nouvelle qui nous aurait forcés, soit à trop étendre nos domaines par des conquêtes, soit à substituer à l’empire ottoman des états qui n’auraient pas tardé à rivaliser avec nous de puissance, de civilisation, d’industrie et de richesse. C’est sur ce principe de sa majesté impériale que se règlent aujourd’hui nos rapports avec le divan. Puisque nous n’avons pas voulu la ruine du gouvernement turc, nous cherchons les moyens de le soutenir dans son état actuel. Puisque ce gouvernement ne peut nous être utile que par sa déférence envers nous, nous exigeons de lui l’observation religieuse de ses engagemens et la prompte réalisation de tous nos vœux. » La Russie n’avait pas voulu, disait-elle alors, garder les principautés, ni même les occuper pendant le terme de dix années, quoiqu’une convention additionnelle au traité d’Andrinople lui accordât cette occupation comme garantie du paiement des indemnités de guerre. « L’empereur, disait M. de Nesselrode, a jugé que cette occupation nous exposerait à de nombreux inconvéniens, à des dépenses considérables, et qu’elle équivaudrait à une prise de possession de ces provinces, dont la conquête lui a toujours paru d’autant moins utile, que sans y entretenir des troupes nous en disposons à notre gré en temps de paix et en temps de guerre. » La Russie se contentait pour le paiement des indemnités d’autres garanties dont M. de Nesselrode définissait ainsi la nature : « Les déterminations de sa majesté impériale ne surchargeront point l’empire ottoman d’un fardeau dont le poids causerait sa chute; mais elles laisseront entre nos mains des clés de position d’où il nous sera facile de le tenir en échec, et consacreront l’existence d’une dette à sa charge, qui lui fera sentir, pendant de longues années, sa vraie