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illusions, essayait de courtiser l’alliance russe, soyez-en sûrs, le résultat de cette défection à l’alliance anglaise ne se ferait pas longtemps attendre : abandonnée par nous, l’Angleterre serait toujours certaine de nous devancer auprès de la Russie, et serait toujours à temps de conclure avec elle le marché qu’elle vient de refuser; quant à la France, elle expierait sur-le-champ cette faute par un isolement honteux et un abaissement terrible.

Les tentatives de l’empereur Nicolas ont échoué contre la probité des ministres anglais. Les dépêches de lord John Russell et de lord Clarendon, celle de lord John Russell surtout, sont des modèles d’honnêteté politique : respect des traités, fidélité aux alliances, égards pour les puissances que la Russie excluait de ses plans, prévoyante sollicitude pour les intérêts conservateurs de l’Europe mis en péril par les propositions russes, rien n’est omis, tout au contraire est exprimé par les ministres anglais avec la plus entière franchise et la plus noble élévation de langage. Quel contraste entre ces obsessions d’un souverain absolu couvrant ses tentatives de séduction de protestations affectées de loyauté, et faisant valoir sans cesse sa parole de gentilhomme, et ces ministres d’un peuple libre lui résistant simplement au nom de la fidélité aux alliances et de l’ordre européen ! De quel côté, nous le demandons, est la véritable habileté et la véritable grandeur ? La conduite des ministres anglais fait sans doute beaucoup d’honneur à leur intelligence et à leur caractère; mais qu’il nous soit permis de rappeler qu’une grande part de ce mérite revient aussi aux institutions de l’Angleterre. C’est en effet le régime représentatif qui interdit au gouvernement anglais de contracter des engagemens éventuels, et qui rend par conséquent impossible de sa part toute complicité dans des actes pareils au partage de la Pologne. Qui croirait qu’il se trouve encore en Europe des hommes d’état qui lui font un reproche de cette heureuse impuissance[1] ? Ainsi la publicité, le contrôle de l’opinion, la responsabilité ministérielle, ces principes du gouvernement représentatif, ne sont pas des garanties exclusivement profitables aux peuples qui les possèdent; le monde en est témoin aujourd’hui, ces garanties protègent encore les intérêts des autres nations, au sein même des peuples qui jouissent du régime représentatif.

La politique russe vit donc ses propositions repoussées par l’Angleterre. La conclusion par laquelle elle mit fin à ses ouvertures manque également de franchise et de dignité. Le gouvernement russe feignit de s’être complètement entendu avec le gouvernement

  1. « Et l’Angleterre qui se refuse toujours, par un principe fixe de sa politique parlementaire, à prendre des engagemens éventuels, etc ; » Le Côté religieux de la Question d’Orient, par M. du Ficquelmont, p. 103.