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de concert avec la Russie l’affaire des lieux-saints. Ces ouvertures paraissaient avoir été accueillies à Saint-Pétersbourg. M. de Nesselrode, en annonçant le 10 février au général de Castelbajac le départ du prince Menchikof, lui laissait entendre que la mission du prince avait pour but, en ce qui concernait les lieux-saints, le concert projeté avec la France. Le 15 mars, M. de Nesselrode écrivait à M. de Kissélef qu’il acceptait avec empressement la proposition du cabinet français d’examiner en commun, avec un commissaire turc, si les concessions faites à M. de Lavalette étaient en désaccord avec le firman délivré aux Grecs. Le 31 mars, M. de Nesselrode assurait à notre ambassadeur que des instructions avaient été envoyées au prince Menchikof dans le sens des propositions de notre gouvernement. Voilà quel était le langage qu’on nous tenait à Saint-Pétersbourg. La conduite du prince Menchikof en était à Constantinople la contradiction persévérante. Au lieu de se concerter avec notre chargé d’affaires, il agissait séparément, et jusqu’au milieu d’avril il déclarait n’avoir reçu aucune instruction qui l’autorisât à s’entendre avec le représentant de la France.

Le mot de l’énigme se devine aujourd’hui. Ce n’est en effet qu’au commencement du mois d’avril que se terminent les pourparlers confidentiels de la Russie avec l’Angleterre; pour finir l’affaire des lieux-saints, la Russie attendait le dernier mot du cabinet anglais. Et tandis que dans ces pourparlers on agitait de si grandes choses sans nous et contre nous, l’on nous trompait sur le but des armemens de la Russie avec une duplicité encore plus révoltante. Ainsi, au commencement de janvier, on nous avait dit que les concentrations de troupes dans la Russie méridionale étaient uniquement destinées à former un cordon sanitaire contre le choléra, qui se serait montré en Perse sous une forme nouvelle. On n’avait pu persister longtemps dans cette comédie. Après bien des protestations vagues, le 31 mars, M. de Nesselrode, avec cette ostentation des formules de confiance qui est une habitude si suspecte de la diplomatie russe, essaya de nous rassurer tout à fait. «En vérité, mon cher général, dit-il à notre ministre, je ne comprends pas tout le bruit que l’on fait en Europe de la mission du prince Menchikof, et encore moins la manière dont on dénature nos actions et nos intentions. Vous dites que la principale cause est dans le mystère dont nous les avons entourées. Eh bien ! je vais franchement avec vous, avec un ami qui connaît déjà toutes nos intentions et la plus grande part de ce mystère, vous le dévoiler tout entier. » Après un pareil préambule, on s’attend peut-être à quelque révélation importante. Or voici tout ce que le chancelier voulut bien apprendre à notre ministre : le motif de la mission du prince Menchikof avait été celle du comte de Linange relative aux affaires du Monténégro, et les