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les plus extrêmes. Ce n’est point, si l’on veut, une guerre d’entraînement et d’enthousiasme pour l’Angleterre et pour la France ; les guerres de ce genre ne supportent pas une année de médiations et de négociations. C’est mieux que cela peut-être, — c’est une lutte réfléchie, déclinée tant qu’elle a pu l’être, mais acceptée au moment voulu sans faiblesse comme saus illusion, en vertu de cette nécessité souveraine qu’impose l’intérêt de l’Occident. Les faits, en se précipitant désormais, ne peuvent que dessiner d’une manière plus nette le sens et la portée de cette crise, déterminer avec plus de précision la politique des diverses puissances que leur position en Europe appelle à y jouer un rôle, faire la part des élémens de toute sorte qui viennent s’y mêler. Quant à la moralité des complications actuelles, bien qu’elle fût déjà suffisamment claire, peut-être lui manquait-il encore au seuil même de la guerre une dernière sanction, l’aveu du véritable auteur de cette crise, dépouillé de tous les artifices de la diplomatie officielle. Il ne manque plus rien aujourd’hui après les révélations de ces derniers jours : l’Europe a cet aveu qui relègue de plus en plus la Russie dans l’isolement de sa politique à outrance, et ne peut même laisser l’illusion à ceux qu’elle prétend protéger en Orient.

Si quelque chose est de nature à montrer qu’entre des peuples qui occupent le premier rang dans le monde, il n’y a point de petites luttes, qu’ils n’acceptent point la redoutable extrémité de la guerre pour de futiles prétextes, c’est bien certainement la lumière imprévue qui vient de se faire sur tout un côté mystérieux, ou du moins plus soupçonné que connu, de la crise actuelle. Il y a un instinct qui ne trompe pas, les prétextes restent pour ce qu’ils valent, le fond des situations ne tarde pas à se révéler. Que parlait-on de quelques sanctuaires de la Palestine, lorsque dans le secret des confidences diplomatiques, ce qui préoccupait, c’était le partage de l’Orient ? Le Journal de Saint-Pétersbourg, on s’en souvient, sous l’empire d’une irritation singuUère, se laissait aller récemment à insinuer que l’Angleterre n’avait pas toujours été aussi difficile, qu’elle avait pris part à des négociations, lesquelles ne tendaient à rien moins qu’à déclarer ouverte la succession de l’empire ottoman. C’était certes une assertion hardie, qui semblait calculée dans la pensée que l’Angleterre ne pourrait point nier et n’oserait point rompre le sceau de ses archives secrètes. Or quelle a été la réponse du gouvernement anglais ? Il a mis simplement au jour les pièces diplomatiques de cette négociation confidentielle, — ces pièces, les plus curieuses qui aient paru et qui paraîtront de longtemps, où éclatent à la fois la loyauté du cabinet britannique, les vues, les prétentions de la Russie — et, on pourrait l’ajouter, le péril contemporain de l’Europe. L’empereur Nicolas a voulu lever tous les voiles ; ils sont levés maintenant, et c’est désormais avec les pièces de cette négociation secrète en main qu’on peut contrôler chaque déclaration publique, chaque acte du cabinet de Saint-Pétersbourg, suivre la marche de la politique russe tout entière, de même qu’on y peut voir la véritable attitude de l’empire des tsars vis-à-vis de l’Europe et s-à-vis de chaque état en particulier. Le gouvernement russe, dans son dernier mémorandum du 3 mars, disait que la question d’Orient en était venue au point où elle est, parce que dès l’origine les puissances occidentales lui avaient supposé des vues ambitieuses qui n’existaient point, s’appliquant à combattre un fantôme sans réalité. Rapprochez ces déclarations des documens