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la différence des sujets, et encore Jeffrey ne publiait-il pas tout. Qu’un critique humoriste, comme Hazlitt en Angleterre, réunisse les fragmens échappés à son imagination éloquente et capricieuse, il y a là une vie propre et originale qui fait l’unité de l’œuvre. En est-il de même d’un ensemble d’articles sur des livres qui ont paru hier et dont beaucoup n’existent pas aujourd’hui ? Ces articles eux-mêmes d’ailleurs ont eu leur destination ; on a fait la part du journal où ils paraissaient. Puis, l’improvisation aidant, il peut certes échapper plus d’une inadvertance, plus d’un jugement léger, qui n’a pas même le mérite d’avoir un tour paradoxal. C’est ce que M. Cuvillier-Fleury appelle « le conflit entre l’improvisation et le livre. » Et à quel propos dit-il cela ? C’est au sujet du Cours de Littérature dramatique de M. Saint-Marc Girardin. M. Cuvillier-Fleury, qui aperçoit si bien dans les pages de l’ingénieux professeur le conflit entre l’improvisation et le livre, n’avait peut-être pas besoin d’aller si loin pour apercevoir beaucoup plus distinctement ce conflit. Qu’en faut-il conclure ? C’est que l’improvisation littéraire, comme l’improvisation politique, a ses entraînemens, ses nécessités, ses pièges, et que le livre a ses conditions. Il y a certes des cas où le conflit peut cesser, et où des fragmens improvisés peuvent devenir un livre éloquent ; mais ce sont là les rares fortunes de l’art qui se comptent dans l’histoire littéraire, comme toutes les œuvres belles et saines.

Dans le fond, au milieu de toutes les discussions contemporaines, la pensée littéraire a bien toujours quelques points vers lesquels elle revient ; il y a des tableaux qu’elle aime à peindre, des épisodes dont elle s’empare, des veines d’inspiration qu’elle explore heureusement. Ne lui suffit-il pas de se tourner vers ces dernières années que nous avons traversées, années si pleines d’agitations et de mouvement, pour y trouver plus d’une source féconde ? Et quand on songe que ces ébranlemens ne se sont pas étendus à un pays seulement, mais à l’Europe entière, qu’ils ont mis aux prises toutes les passions, les plus généreuses et les plus perverses, qu’ils ont fait de la vie de ce continent un drame plein des péripéties les plus puissantes, certes c’est là un spectacle dont bien des traits sont dignes d’être rappelés et fixés. Tel est justement l’attrait du Ure récent de M. Henri Blaze, Souvenirs et Récits des campagnes d’Autriche. L’auteur nous ramène vers un des épisodes les plus curieux et les plus saisissans des révolutions dernières. C’est en Italie et en Hongrie, ou le sait, que se sont accomplies ces campagnes de l’Autriche, et c’est sur ces deux champs de bataille que M. Henri Blaze suit les armées autrichiennes. Il joint les souvenirs du voyageur à tous les témoignages de l’histoire contemporaine, et avec ces divers élémens il trace un tableau animé et coloré où revivent les événemens et les hommes : galerie singulière où passent tour à tour Radetzky et Charles-Albert, Windischgraetz et Goergei. Comment se fait-il que l’armée autrichienne d’Italie en 1848 ait su ramener à elle l’intérêt qu’elle n’excitait point jusque-là ? C’est qu’après tout elle le méritait. Seule, livrée à elle-même sous un chef éprouvé, traquée de toutes parts, elle a fuit simplement son devoir. On peut aimer l’Italie et admirer encore l’attitude de cette armée qui soutenait et relevait la fortune de l’empire d’Autriche, tandis que les révolutions la précipitaient vers sa ruine. Et, qu’on le remarque bien, le même intérêt qui s’attache à l’armée autrichienne s’attache aussi à l’armée piémontaise. Oans un autre sens, le camp de Charles-Albert