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n’offrait-il pas le même spectacle ? Les soldats piémontais se battaient chaque jour, supportaient toutes les privations, et pendant ce temps ils recevaient les injures de ceux-là même qui déclamaient le plus sur l’indépendance. Le mot de trahison était partout. Les révolutionnaires italiens refusaient aux soldats du Piémont l’hommage que le maréchal Radetzky leur rendait dans un de ses ordres du jour. C’est là ce qui donne un caractère particulier et un intérêt rare à la lutte de ces deux armées, qui toutes deux font également leur devoir dans les conditions les plus ingrates, et cet intérêt élevé passe dans les récits de M. Henri Blaze. L’auteur des Souvenirs des campagnes d’Autriche reproduit le côté héroïque, quoique très réel, de cette guerre, poursuivie au milieu d’une révolution avec des alternatives si diverses, depuis le premier combat de Goïto jusqu’à Novare. Novare, c’est là en effet le dénoûment de cette tragédie de l’indépendance italienne en 1848 ; une portion de l’Italie se précipite pour un moment dans les excès révolutionnaires, l’autre se rejette dans la réaction, et le Piémont seul rentre dans ses limites.

Ce qui est caractéristique cependant pour le Piémont, c’est que seul, parmi les états italiens, il a conservé quelque chose de 1848. Le régime constitutionnel sous lequel il vit se rattache à cette époque, comme on sait, et la liberté politique la plus complète règne à Turin. Le régime constitutionnel vient même de recevoir un singulier hommage d’un homme pourtant peu convaincu de son excellence. M. Solar Della Marguerita s’est fait récemment élire membre de la chambre des députés. M. Della Marguerita a été avant 1848, pendant plus de dix ans, ministre des affaires étrangères du roi Charles-Albert, et on peut dire qu’il professe les opinions absolutistes dans toute leur pureté. Seulement, au lieu de les pratiquer comme autrefois, il profite, ce nous semble, de la liberté pour les exprimer aujourd’hui dans ses livres comme dans ses discours. Du reste, le Piémont vient de voir se produire en peu de temps divers incidens qui peuvent peindre sa situation politique. Le premier de ces incidens, c’est une modification ministérielle, qui, dans les circonstances présentes, ne laisse point d’avoir une certaine signification. M. de San-Martino s’est retiré du ministère de l’intérieur, et provisoirement son portefeuille a été remis au ministre de la justice, M. Ratazzi. Or la question était de savoir qui remplacerait le ministre démissionnaire. M. Ratazzi semble devoir passer définitivement à l’intérieur ; mais le difficile est de lui trouver un successeur au ministère de la justice. Un magistrat connu, M. Vigliani, parait avoir refusé. Ce qui rend cette question plus grave, c’est qu’il s’y rattache toujours cette éternelle et périlleuse difficulté de la lutte du pouvoir civil et du clergé. La nomination du ministre de la justice peut être un symptôme nouveau des dispositions du gouvernement piémontais. Quand nous parlons de la lutte du clergé et du pouvoir civil, sans dégénérer en conflit déclaré, elle se poursuit néanmoins sous toutes les formes. Un jour, c’est par une mesure sur les biens du clergé ; une autre fois, c’est dans la discussion du nouveau code pénal, qui édicté des peines spéciales contre les ecclésiastiques coupables de pousser par leurs discours à la haine des institutions. Ce projet, après une longue discussion, a été adopté par la chambre des députés ; mais, porté au sénat, il a rencontré une opposition assez vive dès le premier moment, et ce fait a suffi, dit-on, pour que le gouvernement ajournât d’autres projets sur la situation matérielle du clergé. C’est là tou-