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consolations, quand de telles gens justifient les malheureux. Que le monde les condamne tant qu’il voudra, il n’y a pas lieu de s’en affliger, ni de s’en estonner : c’est son métier de condamner les élus; mais de voir les saints se déclarer, voilà ce miracle de M. Thomas (Claude Thomas)[1], mis en ce temps à la Bastille et mort en exil en Bretagne), c’est-à-dire ce secours du ciel qu’il attendoit dans cette conjoncture. Non pas que j’espère que cela opère la paix, mais cela montre la violence d’un costé et la justice de l’autre à ceux qui avoient encore quelques ténèbres là-dessus. Pour moi, il y a longtemps que je savois les sentimens de M. d’Alet; mais les sachant en secret, je ne les osois dire. Puisqu’il s’est déclaré, à mon retour je vous donnerai la joie de vous montrer ses lettres. Il a attendu à parler quand il a esté le plus nécessaire de rompre le silence; il a suivi le mouvement de l’esprit de Dieu, et c’est ce que j’honore en lui, car il ne l’a pas prévenu, et n’a cru sur tout ceci ni amis ni ennemis, mais la vérité mesme, qui s’est inspirée à lui quand il en a esté temps. Louons Dieu de ce secours qu’il donne à son église persécutée, et commençons un peu d’espérer à l’exemple de M. Thomas, ce que je dis contre moi-mesme qui me laisse trop aller aux découragemens humains, quand je vois les mauvais succès. Ou me dit qu’on veut faire un nouveau mandement, et je crois que c’est cela dont M. Chamillard vous a parlé comme d’un accommodement. Il me vient en l’esprit que ce peut estre un piège pour désunir ces saintes filles, et pour en gagner quelques-unes à la signature. J’ai voulu vous dire ma pensée là-dessus afin de vous y faire faire quelque réflexion, si vous trouvez qu’elle le mérite, et de vous empescher d’entrer avec M. Chamillard dans quelque chose qui, par l’événement, pourroit estre une pierre de scandale dans cette sainte maison. Dieu l’a conduite jusqu’ici par la voie de la fermeté; ne nous ingérons jamais de l’affoiblir, car il est certain qu’elles ne sont engagées par nulle puissance légitime de croire un fait. Ainsi il est plus sûr de ne s’engager point à passer du blanc au noir dans le temps de la persécution, qui est un temps où l’affoiblissement plutost que la raison les pourroit faire agir. Il est aisé en ces conjonctures de se faire une conscience qui nous tire de l’oppression pour nous mettre en un état commode. Je n’aurois rien dit si elles avoient signé par estre convaincues des raisons qu’on leur alléguoit avant que d’avoir souffert, je n’en aurois peut-estre rien pensé non plus; mais à cette heure, je vous advoue que cela me paroistroit une foiblesse, et que je ne pourrois m’empescher de croire que la lassitude de souffrir y auroit plus de part qu’une lumière nouvelle. Je vous assure au moins que j’aurois un grand scrupule d’y avoir part; ainsi je vous conjure de n’y en point prendre. Il me semble que cette affaire-ci est au nombre de celles que Dieu conduit par des voies qui ne sont pas les voies des hommes, et qui montrent que ses pensées ne sont pas nos pensées. Ne les y meslons point, et n’appelons pas la prudence humaine au secours de ces saintes filles. Je vous advoue que depuis que j’ai vu M. d’Alet pour elles, je me suis affermie; car c’est un saint si exempt des motifs qui font agir les hommes, qu’il me paroist que son approbation est le caractère de la justice de cette cause. Après la paix de l’église, je n’ai rien tant souhaité que la déclaration publique de M. d’Alet, que je

  1. Sur M. Thomas, voyez le Nécrologe de Port-Royal, p. 356.