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avoir vu périr, dans la guerre qu’elle soutint pour les repousser, le dernier de ses souverains, Vahê, elle résista encore pendant quelque temps aux efforts que firent les Séleucides pour l’asservir. Vaincue par eux, mais jamais soumise entièrement, elle s’affranchit de leur joug et sembla se relever, en passant bientôt après sous la domination des Parthes, en devenant l’apanage de la branche cadette des Arsacides; et peut-être que ses destinées eussent été tout autres, qu’il lui eût été donné de prendre rang définitivement parmi les grandes nations de l’Orient, si le plus illustre des souverains de cette dynastie, Tigrane, prince remarquable par ses talens militaires et politiques, et qui avait élevé son royaume à un haut degré de puissance et de prospérité, n’eût enfin rencontré sur son chemin les vaillantes légions romaines qui avaient triomphé de Mithridate, son beau-père, et pour adversaires des capitaines tels que Lucullus et Pompée.

Dans la lutte longue et acharnée que se livrèrent les Parthes et les Romains, et qui se continua, non moins vive, entre les successeurs de Constantin et les Sassanides, l’Arménie fut le champ de bataille où ces puissans rivaux venaient se disputer la domination de l’Asie. Tributaire de Rome, puis de Byzance et en même temps de la Perse, inclinant tantôt vers les Arsacides de la branche aînée, tantôt recherchant la protection des Césars, quelquefois essayant de revendiquer sa liberté contre cette double oppression, elle se trouva écrasée entre les deux formidables états auxquels elle servait de limite. Lorsqu’elle resta entièrement au pouvoir des Sassanides, vers le commencement du Ve siècle, ils ne tardèrent pas à y détruire les derniers vestiges d’indépendance; le roi Ardaschir, que ses excès avaient rendu odieux à ses sujets, accusé auprès du souverain de la Perse, Bahram V, par les satrapes arméniens, fut enfermé par ordre de ce prince dans une forteresse de la Susiane, destinée aux prisonniers d’état, où il mourut (428). L’Arménie ne fut plus dès lors qu’une province du vaste empire des Sassanides. Deux siècles s’écoulèrent pendant lesquels ils la firent administrer par des gouverneurs (marzbans), Perses d’origine, ou choisis parmi les Arméniens eux-mêmes, suivant la politique de rigueur ou de pacification que ces princes croyaient devoir adopter. Le christianisme, que les Arméniens avaient reçu de Césarée, le goût qu’il leur avait inspiré pour la littérature et la civilisation grecques, l’introduction parmi eux de la législation romaine[1], tenaient sans cesse en éveil les soupçons de leurs nouveaux maîtres, jaloux de les éloigner de tout

  1. Édit de Justinien, dans les Novellœ Constitutiones, novell. XXI, « De Armeniis, ut et illi per omnia leges Romanonun sequantur. »