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grand Caan et de lui fournir des secours dans toutes les guerres que ses armées soutinrent contre les musulmans en Syrie, en Mésopotamie et dans l’Asie-Mineure. Cette alliance avec les Tartares devait être un jour fatale aux princes roupéniens. A peine les sultans d’Egypte eurent-ils fait reculer les Mongols et enlevé aux chrétiens les places qui leur restaient sur les côtes de la Syrie, qu’ils se tournèrent contre les Arméniens. Dépourvus du secours des Mongols, et sans espoir d’en obtenir des chrétiens d’Occident, qui avaient renoncé à toute expédition en Palestine, ils ne tardèrent pas à succomber. Le sultan Schaban fit partir son général Schahar-Ogli, qui vint porter le fer et la flamme dans toute la Cilicie. Le roi Léon VI, assiégé dans sa forteresse de Gaban, fat forcé par le manque de vivres de se rendre après un siège de neuf mois. Fait prisonnier avec sa famille, il fut emmené au Caire, où il resta six ans en captivité. Enfin, en 1381, délivré par la médiation de Jean Ier, roi de Castille, il passa en Espagne pour aller remercier son libérateur, et de là en France, à la cour de Charles VI, qui l’accueillit avec autant de courtoisie que de magnificence. Il mourut à Paris le 29 novembre 1393, le premier dimanche de l’Avent, suivant le religieux de Saint-Denis, et fut enterré dans l’église des Célestins. Avec lui s’éteignirent et la dynastie des Roupéniens et la nationalité arménienne.

Vers le milieu du XIVe siècle, lorsque l’empire des Mongols, perdant son unité, se démembra pour former plusieurs souverainetés indépendantes l’une de l’autre, l’Arménie retomba au pouvoir de différens maîtres. Les Kurdes, dans la partie sud, fondèrent une principauté qui était régie par des beys particuliers; les Persans s’emparèrent des provinces orientales, les Ottomans et les Turkomans de celles de l’ouest. Ce partage dura jusqu’à l’époque où le célèbre Timour (Tamerlan) la réunit tout entière sous son autorité. Partout il laissa des traces sanglantes de son passage et des ruines. Jamais plus horribles cruautés n’avaient été exercées. Un historien de cette époque, Thomas de Medzop[1], raconte qu’ayant emporté d’assaut la ville de Van, il condamna les habitans à se précipiter eux-mêmes du sommet de la citadelle, et que la masse des cadavres s’éleva si haut, que les derniers qui se précipitaient ne se faisaient plus de mal. A la prise de Sébaste, il fit enterrer vivantes les troupes arméniennes et périr leurs chefs dans des supplices affreux.

A peine la mort du conquérant tartare fut-elle connue en Arménie, que tous les chefs qu’il avait dépouillés de leurs possessions et renversés entreprirent, les armes à la main, de les revendiquer sur Schah-Rokh, fils de Timour, ou de se les disputer entre eux.

La lutte des sultans ottomans et des rois de Perse ouvre bientôt

  1. Manuscrit arménien de la Bibliothèque impériale de Paris, n° 96, folio 64.