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Russie leur offrit dans les districts de Nakbitchévan et d’Érivan, et dans le Karabag, des concessions de terres avec exemption d’impôt pendant six ans, à la charge seulement de payer une dîme au fisc. À ces propositions engageantes se joignait une considération d’un autre ordre, non moins puissante pour entraîner les Arméniens, — la présence du chef suprême de leur église dans la portion de leur pays échue à la Russie. Le tsar avait eu soin d’enclaver dans les nouvelles limites de son empire le monastère d’Edchmiadzin, résidence du patriarche ou catholicos, le sanctuaire le plus vénéré de leur foi, consacré par l’apparition du fils de Dieu à l’apôtre de l’Arménie, saint Grégoire l’Illuminateur[1]. Pour que ce mouvement d’émigration eût un caractère national, la direction en fut confiée à un de leurs compatriotes, M. le colonel Lazare de Lazaref, auquel sa position honorable, sa grande fortune et le crédit dont sa famille jouissait à la cour de Saint-Pétersbourg donnaient une haute influence. L’empressement des chrétiens à quitter la Perse fut tel, que dès le 11-23 juin 1828, 8,249 familles chrétiennes étaient accourues de l’Aderbeïdjan, et principalement des khanats de Méraga, Salmas. et Ourmia; il en vint jusque du khanat très éloigné de Kazwin[2]. Cette perte, évaluée pécuniairement pour le trésor du schah, équivalait à un déficit annuel de 100,000 tomans ou 6,400,000 francs. Du côté de la Turquie, le nombre des émigrans qui passèrent l’Arpa-Tchaï fut encore plus considérable, puisqu’on évalue à 70,000 Arméniens à peu près ceux qui abandonnèrent les trois pachaliks d’Erzeroum, Kars et Bayézid. L’archevêque d’Erzeroum, Garabed, entraîna à sa suite la population chrétienne presque tout entière de cette ville. La plupart, colons laborieux ou industriels actifs, se sont fixés sur les frontières de la Géorgie, vers Akhaltzikhe, ou dans les environs de Gumry.


II.

L’Arménie russe, comprise dans ce que l’on appelle aujourd’hui la Transcaucasie, Zakavkazia, se compose de la partie de la haute Arménie cédée en 1783 par Éréglé-Khan, roi de Karthli et de Caketh, à Catherine II, et des conquêtes faites sur la Turquie et la Perse. Elle

  1. Le nom d’Edchmiadzin rappelle cette vision miraculeuse de saint Grégoire, puisque ce mot signifie en arménien le Fils unique est descendu.
  2. Rapport de M. le colonel de Lazaref, adressé de Tiflis en date du 24 décembre 1829 (5 janvier 1830), à l’aide-de-camp-général comte Paskévitch Erivanski, commandant du corps détaché de l’armée du Caucase, dans la collection de pièces intitulée : Recueil d’actes et documens relatifs à l’histoire de la nation arménienne, 3 vol. in-4o, Moscou 1833, de l’imprimerie de l’Institut Lazaref des langues orientales. T. II, p. 166-182. Ce rapport a été reproduit en français dans le Port-folio, t. IV, p. 320-335.