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deux natures, deux volontés et deux opérations, l’une divine et l’autre humaine[1]; elle exclut par conséquent et d’une manière bien tranchée le monophysisme et le monothélisme.

La réunion de l’église arménienne et de l’église grecque, désirée et entreprise par les meilleurs esprits, par les hommes les plus savans, les plus pieux d’entre les Arméniens, fut rendue impossible par les violences et les mesures impolitiques de la cour de Byzance. Cette scission était surtout entretenue par la juste répugnance qu’ils éprouvaient à se soumettre à l’obligation d’un second baptême qui leur était imposée pour entrer dans le sein de l’église grecque[2], comme à des païens qu’il fallait régénérer entièrement, pratique d’ailleurs condamnée par les canons de tous les conciles[3].

A l’époque de la domination des rois roupéniens de Cilicie, plusieurs de ces princes, redoutant les attaques des sultans d’Egypte, déjà fatales aux colonies latines de la Syrie, implorèrent l’appui des papes qui ne cessaient d’élever la voix en faveur des chrétiens d’Orient, même lorsque l’ardeur pour les croisades fut éteinte, et firent acte d’adhésion au siège de Rome; mais ces tentatives de rapprochement n’eurent pas de résultats durables, et les Arméniens, sans avoir contre les Latins cette répulsion qu’ils entretenaient à l’égard des Grecs, persistèrent dans leur communion séparée. Deux tendances partageaient alors la nation; ceux qui habitaient la Cilicie, dans le voisinage des croisés, sans cesse en rapport avec eux, s’attachaient à les imiter en tout, mœurs, costume, langage, institutions chevaleresques, hiérarchie féodale, et jusqu’aux cérémonies du culte. Le représentant de cette tendance, celui qui nous l’a fait le mieux connaître, est l’un des plus savans pères de l’église arménienne, saint Nersès de Lampron, archevêque de Tarse, issu du sang royal des Roupéniens, lequel vivait dans la seconde moitié du XIIe siècle. Dans ses écrits, qui contiennent une curieuse peinture de la société franke dans la Syrie, il ne manque jamais de glorifier les Latins, même au détriment de ses compatriotes : ce

  1. Dans le livre intitulé : Exercice de la foi chrétienne suivant la doctrine orthodoxe de l’église d’Arménie, le dogme des deux natures, des deux volontés et des deux opérations en Jésus-Christ, est énoncé en termes formels. J’ajouterai que les préventions contre le concile de Chalcédoine s’effacent de plus en plus. Une brochure dans laquelle ce concile était attaqué, ayant paru dernièrement à Constantinople, a été désapprouvée par la partie la plus éclairée de la nation.
  2. On peut voir quelle indignation manifeste à cet égard un historien du XIIe siècle, Matthieu d’Edesse, dans mon Récit de la première croisade, extrait de sa chronique, et traduit de l’arménien, chap. LXIII. Paris, 1850, in-4o.
  3. Cette pratique d’un second baptême a été rétablie dans l’église russe pour les princes et princesses de la religion protestante qui s’allient à la famille des tsars. Elle a été sanctionnée, d’après la proposition du patriarche Philarète Romanoff (1619 à 1688), par le concile de Moscou tenu en 1620.