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parti est celui qu’on pourrait appeler des Arméniens occidentaux. Dans les provinces de l’est régnait un ordre d’idées tout contraire. Là était le foyer d’une résistance très vive contre la substitution des dogmes et des usages des Latins aux usages et aux dogmes nationaux. Saint Nersès, accusé de favoriser ces innovations, fut forcé de se justifier auprès du roi Léon II par une longue apologie qu’il lui adressa sous forme de lettre, et qui est parvenue jusqu’à nous. Ces deux points de vue tout opposés subsistent encore de nos jours, l’un qui incline une fraction des Arméniens vers l’église latine et les met en communion avec Rome : ce sont les Arméniens unis; l’autre qui entraîne le reste de la nation vers l’église orientale et la rattache au patriarcat d’Edchmiadzin : ce sont les Arméniens grégoriens.

Il y a dans la croyance de ces derniers deux points fondamentaux où elle s’éloigne de la foi de l’église romaine pour se rapprocher de celle des Grecs. Elle admet que la troisième personne de la Trinité procède du Père seulement et désavoue le Filioque du symbole latin, comme une addition faite après coup au texte de l’évangéliste saint Jean. Le second point est relatif à l’état des âmes après la mort. Les Arméniens n’ont pas de purgatoire dans le sens catholique de ce mot, et l’expression kavaran, lieu d’expiation, est dans ce sens un néologisme dans leur langue. Un écrivain, qui a présenté ici dernièrement, avec autant de convenance que de savoir, un exposé des doctrines de l’église orientale[1], a montré que cette église (et par conséquent les Arméniens d’accord avec elle sur ce point) admet un lieu de transition où les âmes des bons, comme celles des méchans, attendent la résurrection du jugement dernier, et dans quelle intention elle prescrit les prières des vivans pour les morts. J’ajouterai que l’église arménienne recommande la fréquence de ces prières et que le lendemain des fêtes solennelles, Nativité, Pâques, Transfiguration, Assomption, Exaltation de la Croix, est marqué dans la liturgie comme consacré à la mémoire des fidèles qui sont morts dans la foi[2].

Mais la question qui sépare le plus profondément les Arméniens de l’église occidentale est celle de la suprématie du siège de Rome. Tout en vénérant dans le chef de cette église le successeur de saint Pierre, du premier des apôtres, le titulaire de l’un des plus grands sièges de la chrétienté, ils déclinent sa juridiction dogmatique et

  1. M. Desprez, l’Eglise Orient, dans la livraison du 1er décembre 1853.
  2. Il y a quelques autres points, mais de discipline ou rituels seulement, sur lesquels les Arméniens grégoriens sont séparés de l’église latine, comme la communion sous les deux espèces, l’usage de ne verser à la messe que du vin dans le calice, au lieu d’employer le vin et l’eau, la célébration de la fête de la Nativité le 6 janvier avec l’Epiphanie, au lieu de la faire le 25 décembre. Il faut remarquer qu’ayant conservé le calendrier julien ainsi que les Russes et toutes les nations chrétiennes de l’Orient, leurs solennités religieuses tombent à des époques de l’année différentes de celles où elles se rencontrent dans l’église latine.